La fin de l etat de grace du president Macron

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Serguei JIRNOV, politologue et analyste politique

La demission forcee du chef d’etat major des armees sonne la fin de l’etat de grace du president Macron.

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http://www.proza.ru/2017/07/27/722
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Le candidat Macron avait l’impression de marcher sur l’eau depuis un an. Et le debut du mandat du president elu Macron faisait penser a la meme chose. Pourtant la logique politique universelle implacable n’a pas change : tout homme de pouvoir ne peut que descendre dans l’opinion publique, le pouvoir use, le pouvoir change les gens.

Emmanuel Macron a beaucoup de talents. C’est incontestable. Mais la premiere grande faute qu’il a commise assez rapidement, quasiment immediatement a la prise officielle des fonctions, c’est de croire qu’il a ete elu grace a ses talents, en reconnaissance de ses talents et que le peuple lui a donne la carte blanche. Il a commence visiblement a surestimer ses talents et l’estime du public envers lui en oubliant que l’opinion publique le plus souvent est jalouse des gens talentueux et que le grand public se detourne des heros aussi rapidement qu’il peut venir les adorer auparavant. Meme le grand general de Gaulle, createur de la 5ieme Republique a fini par etre demissionnaire et abandonne par l’opinion.

Dans la configuration politique francaise depuis assez longtemps il y avait un espace vacant et une demande des francais pour un mouvement dit « transpartisan » ou « apolitique » ou « non ideologique » ou en dehors des clivages traditionnels gauche-droite. Cette demande se basait sur les echecs cumules des partis traditionnels, sur l’autisme systematique du pouvoir elu de gauche ou de droite, sur la fatigue emotionnelle des gens envers les hommes politiques anciens et les traditions francaises depassees.

Cette place etait depuis longtemps occupee par le Front national de la famille Le Pen. Non pas en reconnaissance de ses pretendues qualites et forces mais faute de mieux. Car, en realite, l’extremisme frontiste lie a la « fachosphere » et le rejet des regles republicaines genait la plupart des gens « normaux », en dehors des rangs limites des militants convaincus d’extreme droite.

Une droite traditionnelle deboussolee s’est trompee grossierement sur la sociologie et les motivations du vote protestataire de la societe francaise. Cette droite trop politicienne, populiste et opportuniste s’est trompee sur l’offre adequate. En oubliant la lecon historique du fascisme en Allemagne et en Italie : l’extremisme ne peut pas etre durablement le refuge de tout un pays et de toute une nation, l’extremisme mene a long terme a la catastrophe, a la perte.

Une partie de la droite « conventionnelle » ou « traditionnelle » en perte de vitesse, en commencant par Sarkozy et en finissant par les fillon, ciotti et autres wauquiez, a cherche a chasser sur les terres defendues de l’extremisme. Au lieu de se pencher vers le centre plus equilibre et une nouvelle offre centriste innovante.

« Si je peux te donner un conseil : oublie que t’as aucune chance ! Fonce ! On sait jamais, sur un malentendu ca peut marcher. » - disait le pretendu grand specialiste des reussites amoureuses Jean-Claude Dusse dans le best-seller « Les bronzes font du ski ».

Macron a eu le flair de trouver tres opportunement cette place vacante, de sentir ce vide, de reperer cette attente de la societe et de foncer en faisant une nouvelle offre politique a la societe francaise. Et, surtout, de se trouver au bon moment et au bon endroit. C’est pour ca qu’il a ete elu. Parce que son offre politique nouvelle et opportuniste repondait le mieux a la demande momentanee de la societe francaise. Et non pas, comme il pouvait le croire, grace a ses talents (nombreux et indeniables) et ses convictions politiques (en realite, inexistantes). C’etait, en quelque sorte, un malentendu entre la societe et Macron.

Parce que Macron a joue juste l’opportunisme pragmatique mais l’attente globale de la societe francaise est beaucoup plus complexe et, surtout, plus contradictoire. Cette amourette opportuniste ne pouvait qu’etre de courte duree. Sur un malentendu on peut avoir une petite aventure mais jamais une union durable.

La plus grande faute de Macron etait de faire semblant de faire une proposition publique globale qui avait la pretention d’etre une grande et profonde revolution de la vie politique (d’ou le titre de son ouvrage cle de la campagne presidentielle) mais qui, en realite, n’en etait pas une. Le candidat Macron semblait proposer a la societe de reformer la 5ieme Republique de fonds en combles, pour la rendre plus efficace et plus juste. En realite le president Macron a juste recommence de ressortir de la naphtaline la Republique jupiterienne poussiereuse sous le vieux modele de 1958 du defunt general de Gaulle.

La courte lune de miel entre les amants a dure du 7 mai au 19 juillet 2017. Pendant cette lune de miel le president elu a deja commis beaucoup de fautes strategiques en faisant les petites victoires tactiques ou en traînant les pieds et esperant que tous les problemes allaient se resoudre tous seuls.

Le president Macron a eu raison de prendre vite la decision de mettre la depouille de Simone Veil et de son mari au Pantheon mais cette victoire tactique a ete aussi vite oubliee puisque Macron n’a pas su aller vite jusqu’au bout et organiser ce transfert immediatement. Il a prefere traîner les pieds en ajournant la ceremonie a l’automne et a perdu de vitesse. Une future ceremonie n’aura plus le meme impacte mediatique car la nouvelle deja consommee n’en est plus une dans le monde actuel tres rapide. 

Le president s’est impose avec la nouveaute de son discours le 3 juillet devant du parlement reuni en congres a Versailles, avant le discours traditionnel du premier ministre au palais Bourbon le 4 juillet. Mais cette victoire tactique macronienne n’avait aucun sens strategique dans les yeux de peuple qui n’a meme pas daigne regarder ce discours presidentiel en directe, diffuse au milieu d’apres-midi  quand les gens « normaux » actifs travaillent, les jeunes font leurs etudes et les retraites « normaux » regardent leurs series televisuelles policieres habituelles ou les talk-show amusants.

Ce que tous ces gens ont retenu des discours deformes du president et de son premier ministre, abondamment commentes et critiques par les medias et l’opposition, c’est que beaucoup de promesses electorales allaient etre repoussees aux calendes grecques.

Le president s’est impose devant les medias et les journalistes avec les regles extremement psychorigides de sa communication. Mais cette victoire tactique du president Macron a mis fin a une avance strategique du candidat Macron qui etait tres ouvert aux medias et qui les habitues a une ouverture moderniste. Cette tentative de la maîtrise de la politique de communication a ete vecue a l’exterieur comme le virage a 180° : de l’information libre a la propagande gouvernementale.

Donc, la pretendue nouvelle politique macroniste de ne pas faire de commentaires s’est vite revelee parfaitement demagogique : le president agit et ne commente pas. En meme temps, le president Macron a bel et bien cree les pages Facebook et le compte Twitter en commentant abondamment l’actualite (plus de 4414 messages postes depuis le 7 mai 2017 – si c’est ca agir et se taire, on sait plus ce que c’est que l’action et le silence radio !).

En meme temps, la fuite de Macron des micros et cameras au milieu des scandales lies aux membres de son equipe et de lui-meme (la fameux voyage aux USA) paraissait non pas comme une reelle volonte de mettre fin aux pratiques douteuses de communication des presidents Hollande et Sarkozy, aux liens incestueux entre le pouvoir politique et la presse connivente, mais comme les tentatives de la nouvelle equipe Macron de cacher la verite genante aux francais.

De toute facon, les absents ont toujours tort. En desertant volontairement le champ de batailles mediatiques le president a perdu en initiative, en courage et en pedagogie. Puisque souvent dans notre monde actuel il ne suffit pas de faire quelque chose mais il est obligatoire de l’expliquer et de le commenter devant les medias pour le rendre plus lisible et comprehensible. En se retirant unilateralement du champ mediatique, le president jupiterien y a laisse toute la place a ses critiques et adversaires.

Par sa volonte jupiterienne, il aurait dû virer du gouvernement Richard Ferrand lui-meme et tout de suite, des le debut du scandale immobilier, mais le Jupiter a prefere parler de la presomption d’innocence et attendre tranquillement la fin des legislatives pour s’en debarrasser. Le Dieu tout puissant n’a pas vire Ferrand mais l’a juste mis dans le placard dore en le propulsant a la tete du groupe parlementaire de la « Republique en marche ». La societe francaise a tres bien vu, compris et enregistre cette faute strategique de Macron mais n’a pas reagit immediatement. Ce qui a ete, a tort, pris par Macron pour une victoire tactique.

Macron a eu tort strategiquement en laissant l’initiative de presenter la loi symbolique sur la moralisation de la vie politique au ministre de la justice Bayrou, fraîchement implique dans le scandale d’emplois soupconnes fictifs et de magouilles supposees avec les fonds europeens. Bien evidemment, la presomption d’innocence etait en faveur de la personne physique Bayrou, mais le soupcon pesait deja fortement sur l’homme politique et la personne morale de son parti. Cette pretendue grande et symbolique reforme de Macron etait corrompue et compromise des le debut, quoi qu’il en dise. Et le peuple se souvient longtemps des symboles.

Par sa volonte revolutionnaire, Macron a dû virer immediatement du gouvernement Francois Bayrou et les deux autres ministres du Modem, mais le Jupiter n’a pas su montrer son courroux legitime et attendu par le peuple. Il a prefere attendre la fin des legislatives et parler de la presomption d’innocence. Le Jupiter n’a pas compris que le peuple en avait ras le bol de cette pretendue presomption d’innocence des puissants. Le peuple n’a pas reagit tout de suite et le Dieu elyseen a mal interprete ce silence momentane en le prenant pour le consentement muet.

En revanche, lorsque le chef d’etat major des armees a tres legitimement critique les orientations budgetaires du chef des armees, le Jupiter n’a pas tarde de lui remonter les bretelles. Du point de vu de la subordination militaire et de la discipline institutionnelle Macron avait parfaitement raison. Mais dans les yeux du peuple et des militaires il a perdu en legitimite et en justice.

Parce que il est vite devenu injuste en voulant etre trop legal. Et parce n’ayant pas fait son service militaire et etant trop jeune, Macron deja n’avait aucune legitimite militaire. Ce n’est pas en montant 2 ou 3 fois dans un sous-marin ou sur un vehicule de l’armee lors des defiles ou en s’exhibant aux cotes d’un detestable clown americain sur les Champs-elysees qu’on devient un vrai chef des armees respecte face a un general qui a obtenu son grade sur les champs de vrais combats. Et sa visite sur la base d’Istres en compagnie du nouveau chef d’etat major des armees, le general Francois Lecointre prenait les allures d’une pietre operation de comm’ d’un mauvais eleve apres le couac grave avec le professeur.

La belle machine macronienne qui vite commencait a perdre de sa superbe virtuelle face aux realites de l’exercice du pouvoir, s’est cassee sur l’episode du general Pierre de Villiers. Et le peuple qui ne disait mot, s’est souvenu tout de suite de toutes les fautes strategiques du Jupiter dans les deux mois precedents. L’etat de grace s’est termine bien avant les 100 premiers jours du quinquennat Macron.

Contrairement a la volonte de Macron de rompre avec les mauvaises habitudes des presidences Sarkozy et Hollande et de relancer la vielle machine politique francaise, c’est la meme chose qui l’attend tres probablement : il pourrait eventuellement etre apprecie pour sa politique internationale mais va etre deteste pour ses realisations interieures, sa personnalite brillante mais contradictoire et sa politique contestee, malgre tout le capital de sympathie qu’il pouvait gagner auparavant comme candidat a l’election presidentielle.

Paris, Juillet 2017.