Virages de l amour

Åëåíà Ðåéìñ
         
                Assise en plein milieu d'un nenuphar blanc, elle pleurait en sanglots. Une a une, des larmes coulaient tombant sur ses pattes palmees.
"Maman, regarde ! Mais qu'est-ce qu'elle est moche cette grosse grenouille ! Pourquoi elle s'est mise sur cette belle fleur ?"
La voix de la petite fille scandait en echo persistant, remplissant son coeur de la peine douloureuse.
- Magnifique ! Jjj-je reve ! – entendit la grenouille tout a coup et vit un enorme bourdon se poser sans facon sur le bord de son nenuphar.
"Qu'est-ce qu'il est mignon ! Il doit etre tres doux au toucher", - pensa-t-elle mais bougonna juste d'un ton hostile :
- Ne vous inquietez pas. Je m'en vais. Admirez bien.
- Comment pourrai-jjjje vous admirer si vous partez ? - demanda-t-il un peu moqueur.
- Admirer... qui ? Moi ?!. Ses yeux s'arrondirent le fixant avec intensite perplexe.
- Enormes, jjjj-jaunes ambres..., - dit le bourdon tout bas sans detacher son regard d'elle et bougea un peu le long de la petale blanche.
"Je glisserais d'abord mes doigts dans sa rayure noire et dans la jaune apres", - resonna encore l'idee folle dans la tete verte.
- Brillante, couleur emeraude... C'est de la maggg-gie..., - balbutiait l'intrus touffu se rapprochant de plus en plus.
"Non! Ou on va la, bon sang ?! Tout le monde perd la boule ! Ils croient etre faits l'un pour l'autre, je parie !" - une araignee d'eau passant a cote jeta un regard desapprobateur sur le duo taciturne, freinee dans sa lancee pour quelques secondes. Mais agitant tout de suite sa patte en geste desespere reprit son chemin.
- Jjj-je crois que jij-je t'aime, - chuchota le bourdon arrivant enfin jusqu'au milieu dore du nenuphar et se blottit contre le genou pointu de sa copine luisante.
"Moi aussi", - pensa la grenouille mais saisie soudainement d'un sentiment contradictoire prononca avec defi :
- Alors, embrasse-moi !
- Jjjj-je ne p..., - commenca le bourdon se refletant dans les miroirs d'ambre.
- Bien sur que tu ne peux pas ! - l'interrompit-elle avec indignation. - Personne n'embrassera jamais une si "moche et grosse" grenouille ! Le gout amer de l'offense injuste remonta de nouveau et elle s'appreta a sauter.
- Attends !
Une piqure legere et agreable au coin de sa levre inferieure lui donna le vertige. Perdant l'equilibre la grenouille s'effondra de tout son poids sur le corps raye en face.
- Le dard ! Enleve vite le dard ! - hurla l'araignee d'eau se felicitant pour sa reactivite et surtout la bonne decision de revenir surveiller "le couple maboule".
           Enivree encore par le baiser inattendu, la grenouille sentit pourtant le frisson de panique lui presentant deja toutes les consequences desastreuses que ce geste pouvait avoir. Et elle se mit a tatonner betement sa frimousse lustree. Un marmonnement un peu etouffe la sortit de sa prostration.
- Jjj-juste un truc, ma belle. Jjj-j'adore ton petit ventre mais peux-tu bouggg-ger un peu la? Jjj-je manque d'air.
Tout ebouriffe-froisse mais content et souriant le bourdon apparut secouant ses ailes.
- Je t'aime ! - s'ecria la grenouille heureuse.
- Jjj-je le sais, ma rebelle mal instruite. Suis pas une abeille, vois-tu, mais un bourdon. Tu te voyais deja toute gonflee ? Versant la derniere larme de detresse sur mon corps immobile ? Tu t’ecroulais dessus asphyxiee…
Brr-r-r-r ! Quel scenario, ma belle ! Mais bon. Ce n’est pas celui a nous en tout cas.
- Et vous, chere mamie, - se tourna le bourdon vers l'araignee d'eau ebahie, - vous seriez mieux de ne pas vous en faire de soucis.   

"Dingues... Des dingues, je vous le dis," - marmottait l'araignee d'eau continuant ses dessins de patin sur l'etang paisible.