Sauver le soldat Valls qui a eu peur?

Ñåðãåé Æèðíîâ
Serguei JIRNOV, politologue

(Suite, debut dans l'article "Sauver le soldat Hollande? Impossible et inutile!" )
 
SAUVER LE SOLDAT VALLS QUI A EU PEUR DE DEVENIR GENERAL EN CHEF ? TROP TARD !

Manuel Valls est arrive a l’hotel Matignon en 2014. Ainsi, sous la presidence de Francois Hollande, a-t-il atteint la limite superieure du pouvoir executif subordonne, non electif. A partir de la, le seul horizon plus ambitieux qu’il lui restait, c’etait la Presidence de la Republique.

Et tout le monde le croyait presidentiable en 2022, au deuxieme cycle : pas le suivant (en 2017) mais celui d’apres. Parce que Hollande allait, contre les interets de son propre camp et malgre son impopularite totale, se representer en 2017 et assurement perdre son Waterloo face a la droite, voire l’extreme droite. Et la chance de Valls, soit disant, etait de recuperer "pour la gauche" le pouvoir en 2022, apres le quinquennat desastreux de Marine Le Pen ou de la droite republicaine.

Manuel Valls le croyait aussi. A tort. Et c’est ce qui l’a perdu d’avance. Parce qu’il a voulu miser sur la continuite, sur la lenteur constructive, sur le moyen et long terme. Il n’a pas compris que la France est arrivee en fin de systeme et a bout des nerfs. Il n’a pas compris que la seule chance qui lui restait, etait en 2017 et qu’il fallait tout basculer immediatement et foncer la tete baissee des 2015-2016 pour la decrocher.

Etait-ce possible avec la configuration politique francaise de l’epoque (et actuelle) ? Helas non. Malgre les dispositions brillantes, les etats de services et la jeunesse relative de Valls. Etait-ce possible autrement ? C’etait difficile mais ce n’etait pas completement impossible, car il en avait le potentiel et l’envergure necessaires des 2014. D’ailleurs, lui seul en avait, chez les "socialistes" et meme en France (a part Jean-Luc Melenchon dans le camp de la vraie gauche).

Mais il lui fallait changer immediatement et assez radicalement le cap personnel politique et la donne generale dans le pays si Manuel Valls voulait reellement gagner le poste supreme. Il fallait faire une petite revolution, un mini coup d’etat, une rupture totale avec son propre camp et le systeme politique francais mourrant.

Car depuis 2012 Valls etait emprisonne dans l’avion du suicide collectif du parti socialiste ou le President de la Republique et le premier secretaire du PS s’etaient enfermes dans le cockpit avec leurs autres amis suicidaires. Ils ne voulaient pas et ne pouvaient pas changer ni leur cap ideologique, ni leur ligne politique, ni leurs dogmes, ni ouvrir grande la porte a Valls (arrive au poste du premier ministre) et lui laisser non pas la deuxieme, mais la premiere place aux commandes. Et ils l’entrainaient avec eux vers la tombe politique commune. Cet avion socialiste hollandais condamne n’a cesse de descendre depuis 2012 et inexorablement allait s’ecraser au sol en 2017.

Avec tout le respect que l’on lui doit, Francois Hollande n’avait depuis 2012 franchement plus rien a cirer de tout cela. Puisque, de toute facon et quoi qu’il arrive, en 2017 il allait terminer son quinquennat a l’Elysee pour rester ensuite membre a vie du Conseil constitutionnel avec le traitement et les privileges habituels de l’ancien President de la Republique. Son ambition de vie (inesperee) a ete atteinte en 2012 – avec son election a la Presidence. A la place de Dominique Strauss-kahn elimine prematurement de la course apres son scandale sexuel aux USA.

Ce qui preoccupait encore Francois Hollande entre 2012 et 2015 c’etait l’image qu’il allait eventuellement laisser dans l’histoire (a supposer qu’il en laisse une, a part celle du president le plus impopulaire, moque et meprise de la 5-ieme Republique). Et pour ceci il a mise sur le sauvetage ecologique de la planete, reel ou imaginaire (ce qui n’etait pas bete) – la COP-21 et la lutte contre le terrorisme international (reel ou imaginaire).

Car a l’interieur de la France il ne pouvait plus avoir de resultats convaincants ni renverser plus aucune courbe, quoi qu’il se passat. Il savait qu’il ne serait pas reelu en 2017. Et tout le monde le savait. Mais il allait s’accrocher jusqu’au bout a son reve impossible de reelection miraculeuse a la Mitterrand-1988 et ne voulait laisser jamais la place a qui que ce fût. C’etait dans la nature humaine et le propre du pouvoir supreme qui est une drogue la plus difficile a s’en defaire.

Le Premier secretaire du PS, actuel ou different, serait toujours le premier fonctionnaire du parti, meme si son organisation allait en toute logique suivre le sort du PC vers les 5-10% des intentions de vote d’ici une dizaine d’annees. Les elephants socialistes (Martine Aubry, Laurent Fabius, Pierre Moscovici, Jack Langue, etc.) etaient deja morts politiquement car trop bien places dans les sine cures qu’ils ne voulaient plus jamais lacher.

Parmi les "jeunes couteaux", les "nouveaux" seul Manuel Valls avait deja (des 2014) tous les elements en main et l’ambition necessaires pour rebondir a l’horizon de 2017. Ses concurrents potentiels (Hamon, Montebourg, Royal ou Macron) trainaient trop d’handicaps et ne pouvaient etre a court terme que les seconds couteaux.

Ce n’etait plus la peine d’essayer de sauver l’avion socialiste condamne, perdu d’avance, en jouant les heros kamikazes. A Valls il aurait fallu changer d’avion en creant son propre engin politique volant.

En 2015 Valls avait encore un an, tout au plus, pour tirer le reste des benefices administratifs du poste de Premier ministre et en finir avec la tutelle politique actuelle, pour s’en debarrasser definitivement et de sa propre initiative (pour avoir ses chances de rebondir un premier ministre doit demissionner, lui-meme claquer la porte et non pas etre mis a la porte par le President de la Republique, etre "lourde"), avant la debacle inevitable de 2017 (afin de ne pas y etre associe negativement pour toujours), pour se lancer dans son propre envol vers le sommet supreme.

Pour cela il avait encore la chance puisque une place gagnante restait parfaitement libre et personne n’y pensait serieusement : fonder, creer le vrai premier parti de France inexistant, se mettre a sa tete et se faire elire a la Presidence de la Republique en 2017. Un parti du nouveau type (plutot un mouvement politique plus large que les clivages traditionnels) dont la France a enormement envie depuis plusieurs annees.

Dont la place, jusqu’a maintenant et a defaut de mieux, etait occupee par le Front national sans qu’il corresponde reellement a cet enjeu majeur, a cette attente impatiente des francais. Si le FN etait la sans le meriter et sans avoir fait quoi que ce soit de meritoire, c’est que la place est restee trop longtemps vide. Et ce vide devait absolument etre rempli par quelque chose, meme d’aussi abjecte que l’entreprise familiale des Le Pen – par defaut et negativement. La nature (y compris humaine) ne supporte pas le vide.

Il etait temps de changer la donne politique majeure francaise en proposant une alternative nouvelle, forte et positive en rupture avec le systeme qui a trop vecu et qui ne correspondait plus aux attentes des francais. Pour Valls c’etait sa seule chance personnelle a court terme. Et la seule chance pour le pays aussi, sans changer radicalement de systeme politique francais et passer a la VI-ieme Republique comme le proposait depuis longtemps Jean-Luc Melenchon qui maintenant reste le seul espoir de la vraie gauche en France.

Aucun des collaborateurs, conseillers ou collegues de Valls ne pouvaient pas le voir car ils etaient tous trop pris par les evenements quotidiens, trop embourbes dans les affaires courantes, trop lies par les vieilles habitudes et les engagements anterieurs, sans avoir le recul et la liberte d’esprit absolument indispensables pour de telles grandes appreciations et prospectives. Valls seul pouvait et devait faire le grand pas en avant. Il a eu des conseils necessaires allant dans ce sens (je peux le certifier).

Mais il n’a rien fait. Il a eu peur de se lancer trop tot. Il a eu peur de perdre ce qu’il a construit depuis des annees. Mais il a eu tort d’avoir peur ! Car il pouvait tout gagner et il ne perdait absolument rien ! De toute facon il allait garder le statut, le traitement et les privileges de l’ancien premier ministre. Son avenir materiel etait garanti. Mais il a eu peur d’allait plus loin rapidement.

Les premiers qui ont tente de lui voler l’initiative dans le bon sens etaient Sarkozy avec son parti disloque et compromis apres deux annees de la guerre fratricide et les «casseroles» judiciaires. Eux, ils ont bien compris le besoin de changer radicalement et ils ont decide une manœuvre geniale en changeant le nom corrompu d’UMP pour "Les republicains" ! C’etait un coup de couteau dans le dos du parti socialiste. Mais aussi celui de Valls ! Et un joli coup de couteau ! Efficace et reussi !

Parce que (surtout pour Valls) ce nom aurait ete encore plus fort - lui etant le fils des emigres, refugies espagnols republicains qui ont combattu le fasciste Franco ! C’etait en 2015 la premiere grande perte d’initiative pour Valls qui s’enlisait dans la routine de l’hotel Matignon en perdrant le temps et sa plus grande chance. A cause de son attentisme, son manque de l’ambition et sa peur petite-bourgeoise.

Il lui restait pourtant en 2015-2016 encore une autre possibilite : chasser officiellement la ou personne ne chassait vraiment a l’epoque – dans le nouveau terrain ambiguë des ni-ni (ni gauche, ni droite, en dehors des clivages traditionnels), dans le terrain "androgyne". Valls etait le meilleur pour cela. Comme un social liberal, il n’etait pas ni un vrai representant de la gauche, ni un homme de droite. Il etait a la droite liberale des socialistes et a la gauche liberale de la vraie droite dure et extreme. Excellente place a prendre ouvertement et exploiter politiquement !

D’ailleurs, si Valls etait arrive la ou il etait (place Beauvau et a Matignon) c’etait justement grace a cela ! Parce qu’il a joue toujours sur ce terrain ambiguë, mais il n’a pas ose pousser le bouchon plus loin – en faisant une totale rupture avec Hollande et le vieux parti socialiste mourant. Vulgairement parlant, Valls qui jouait les "durs", n’a pas eu les couilles de se lancer tout seul dans la vraie politique.

Pire encore, il a sorti un discours ringard, guimauve et depasse de la "fidelite" a son camp (auquel il n’a jamais ete vraiment fidele), a la gauche (a laquelle il n’a jamais vraiment appartenu). Et il a definitivement perdu l’initiative et le temps. C’est Emmanuel Macron qui s’est lance a la place de Valls dans cette direction. C’est Emmanuel Macron qui a eu l’ambition necessaire de faire le pari "androgyne" en dehors du clivage gauche-droite de 2017 ! Mais qui n’avait pas l’envergure de Valls et, donc, ses chances de reussite.

De toute facon, Valls representant un courant droitier du social liberalisme, n’avait aucune possibilite de rassembler la gauche au large terme puisque la vraie gauche le croyait (et avait parfaitement raison) etre un "traitre" des ideaux de gauche. Apres l’utilisation scandaleuse de l’article 49.3 pour les lois liberales "Macron" et "El Komri", Valls et Hollande etaient finis pour une quelconque cause de gauche ! Le seul maintenant qui puisse encore le faire c’est Melenchon !

Donc, Valls, decide de rester fidele au parti socialiste actuel et a Hollande, va rester a Matignon jusqu’en 2017. Valls va rester pour toujours dans les memoires des francais comme le premier ministre (deuxieme couteau, voire le valet, le larbin) du quinquennat desastreux de Francais Hollande, du president "normal" le plus impopulaire, moque et meprise de la 5-ieme Republique. Valls va rester dans l’histoire comme le premier ministre 49.3 – un renegat socialiste.

Dorenavant le premier ministre de Francois Hollande Manuel Valls n’a plus aucune chance presidentielle pour 2017. Il a perdu son Waterloo en 2016, sans meme engager une grande bataille. Car il a eu peur de s’engager dans sa propre bataille. Pas assez d’ambition ! Lui qui s’est planque a Matignon par peur de bouger.

Mais dorenavant, il n’a plus aucune chance pour une course presidentielle de 2022 non plus ! Car c’est trop loin et le pays sera tres different. En 2022 Valls sera trop "vieux", trop "ancien systeme", trop ringard et depasse par les jeunes loups ambitieux qui auront grandi. Dorenavant il est trop tard pour sauver le soldat Valls qui a eu peur. Adieu, Manu ! Dorenavant a Matignon on peut fixer une epitaphe : "Ici git celui qui aurait pu passer a l’Elysee en 2017 mais a eu peur de le tenter, meme s’il n’avait rien a y perdre et tout a y gagner."


Paris, Mai 2016.

Original avec les illustrations dans le blog:
http://jirnov-serguei.livejournal.com/34494.html