Aveux

Èðèíà Áóòðèêîâà
Comme ce n’est pas facile d’;tre m;re. Etre bonne m;re est encore plus difficile. Mais  c’est une autre affaire que de devenir une amie de ses propres enfants. Je pense que cela rel;ve du domaine de l’art. J’ai eu de la chance car ma m;re poss;dait ce talent et j’ai ;t; heureuse avec elle.
Pourtant, une m;re, quel est son r;le ? Est-elle celle qui doit servir son enfant au quotidien sans rien demander en ;change ? Femme de m;nage non salari;e. Bien s;r que non. Son r;le est beaucoup plus important, plus vaste, plus complexe. Comment apprendre aux enfants ; estimer tous ses efforts sans d;velopper en eux  un grave sentiment d’;go;sme, ce qui d’ailleurs, se rencontre si souvent ? Comment ouvrir « la petite porte » de l’;me de l’enfant et y insuffler l’amour pour sa m;re ? C’est un terrain privil;gi; pour y semer les graines qui feront germer la compr;hension du monde, les valeurs spirituelles, les sentiments nobles comme la bont;, le sens du bien. Comment apprendre ; partager ensemble la joie, le malheur, des hauts et des bas de la vie  quotidienne ?

J’aspire ;  construire une amiti; avec mes enfants. Dans la vie tout change : les lieux et les conditions d’habitation, les amis, les camarades, les simples connaissances. Malgr; tout, mes enfants resteront avec moi pour toujours. Et ce sont eux qui peuvent devenir mes vrais amis. Et c’est leur amiti; qui m’est la plus d;sirable.

Quand ma fille, Olga, est venue au monde, j’;tais ravie. Je me disais que je ferais  tout mon possible pour avoir avec elle les m;mes relations que ma m;re avait si bien su tisser avec moi. Malheureusement, un accident a d;truit tous mes r;ves. A la suite d’une chute provoqu;e par une infirmi;re de la maternit;, Olga s’est retrouv;e gravement handicap;e physiquement et mentalement. Alors, mes r;ves, envol;s tous mes projets et mes espoirs. J’;tais d;sesp;r;e et d;courag;e. Mais jour apr;s jour, j’ai compris que tout n’;tait pas perdu. Je me suis attaqu;e avec acharnement ; sa construction. C’est un ;tre humain comme tous les enfants. C’est vrai qu’elle voit le monde autrement, mais elle a les m;mes sentiments et la m;me sensibilit; que les autres. Elle n’est pas sourde, n’est pas aveugle, heureusement, alors elle arrive ; percevoir le monde environnant. J’avoue que tout est difficile avec ma fille, Est-il dit que la vie c’est seulement f;tes, feu d’artifice ? 19 ans ont pass;. Je peux affirmer courageusement que j’ai bien ;lev; ma fille. En d;pit de son handicap  et gr;ce ; son caract;re facile, ; sa gentillesse, elle m’a aid;e ; r;sister  ; tant de coups  du destin et ; combattre sa maladie.

   Apr;s la venue au monde de mon fils, Dimitri, je pensais que le bonheur arrivait avec lui. Mais tandis qu’il grandissait un mur invisible se dressait entre nous. Toutes mes tentatives pour me rapprocher de lui ;taient vaines. Je me posais mille questions et ne trouvais  aucune r;ponse. D;s que Vassili, son p;re, rentrait du travail, Dimitri se jetait dans ses bras, remplissant la maison par ses rires, ses cris de joie.

Leurs bavardages ;taient interminables et quoi que fasse Vassili, Dimitri ne s’;loignait pas de lui. Quant ; moi il me laissait un r;le discret. On aurait dit qu’il tol;rait ma pr;sence pendant l’absence de Vassili. Et si je me permettais de l’embrasser, Dimitri essuyait sa joue tout de suite. Je n’attachais pas d’importance ; cela, ne manifestais pas de reproches sachant ils viendraient creuser le gouffre entre nous. J’esp;rais qu’avec le temps mon fils m’appr;cierait ; ma juste valeur. Finalement, ma patience a ;t; r;compens;e. Progressivement il changeait. Apr;s avoir embrass; son p;re, Dimitri m’embrassait aussi. S’il tendait la main ; son p;re, il me la tendait ;galement. Par la suite, mon fils a trouv; en moi une agr;able interlocutrice, puis une bonne comme conseill;re et une amie d;vou;e.

Les sources de ce changement que je n’arrivais pas ; ;lucider, m’ont ;t; r;v;l;es par Dimitri lui-m;me. Et c’est cette histoire que je veux rapporter.

Un matin ordinaire. J’;tais rest;e avec Dimitri ; la maison. En prenant le petit d;jeuner nous bavardions de tout et de rien. J’adore de tels moments. Nous ne nous ennuyons jamais. Subitement, Dimitri me dit :

- Papa est si ;loign; de moi. Je veux voir en lui mon ami. J’ai besoin de lui. Je suis pr;t ; aller au travail avec lui, ; ex;cuter des travaux difficiles qui me permettraient de rester ; c;t; de lui, de m’approcher de lui.

- Que penses-tu, -lui ai-je r;pondu,- puis-je t’aider ; changer la situation ? Peut-;tre tu veux que je parle avec ton p;re ?

Au lieu de la r;ponse, il m’a pos; la question :

- Maman, te souviens-tu du temps o; j’;tais petit ? Tout ;tait ; l’inverse chez nous. J’;tais tr;s proche de papa et je te tenais ; distance.

- Oui, bien s;r que je me souviens. Ce sont des moments « inoubliables ».

- Les ann;es ont pass; -continuait Dimitri,- et si tu veux, je te raconte pourquoi j’;tais dur et ;tranger avec toi. Mais promets-moi que tu ne vas pas te vexer,-demanda-t-il baissant les yeux de confusion. Ce que je vais t’avouer est la v;rit; et tu sais mieux que moi que parfois la v;rit; est am;re.

- Ne t’inqui;te pas, je ne vais pas me vexer. Je savais que l’on ne peut pas forcer ; aimer, c’est pourquoi j’attendais.

- Oui, c’est vrai, je ne t’aimais pas,-continuait mon fils.- Je croyais que tu ;tais ma baby-sitter. Je pensais que ma m;re ;tait partie quelque part pour travailler comme beaucoup de parents. Je l’attendais et je ne voulais pas m’habituer ; toi.- Il a baiss; la voix et a ajout;,-Je n’arrivais pas ; t’accepter comme ma m;re.

Une telle r;v;lation m’a stup;fi;e. J’ai gard; mon calme et ai trouv; en moi la force pour sourire. Je lui ai pos; la question gentiment :

- Et pourquoi attendais-tu une autre maman ? Quelle maman esp;rais-tu ?

- Je ne voulais pas croire je pouvais avoir une maman avec un d;faut aussi important ; maman handicap;e, maman scoliotique. J’imaginais qu’un jour ma m;re se pr;senterait toute belle, svelte et tu nous quitterais car je n’aurais plus besoin de nounou.

J’ai demand; :
- Mais comment as-tu su qu’il ne faut pas attendre une autre maman, qu’elle ne viendra jamais ?

- Un jour, papa m’avait pos; la question : »Pourquoi es-tu indiff;rent ; ta maman ? Elle est gentille et aimable avec toi, elle t’aime beaucoup. »

J’avais r;pondu :

- Parce qu’elle n’est pas ma m;re.
Papa m’a dit :

- Si, c’est ta maman.

J’avais cri; :

- «   Non, tu mens, je ne veux pas avoir une telle maman ! Ma m;re est belle, elle arrivera, tu me dis tout cela pour me convaincre ! »  Alors, papa m’avait tout expliqu;,-a dit Dimitri sans pr;ciser les d;tails de leur entretien.-


Ensuite, peu ; peu, j’ai commenc; ; me r;signer ; la pens;e que tu es ma m;re. Peu ; peu je te percevais autrement. Apr;s tout, je pensais qu’il vaut mieux avoir une maman comme toi que ne pas en avoir du tout. Avec le temps, nous devenions de plus en plus proches et je sentais que je t’aimais. Et maintenant, tu es ma meilleure maman et amie.


Il a termin; son discours. J’;coutais sans l’interrompre. Enfin, j’ai pos; la question avec un ton compr;hensif :

- Maintenant, tu as 10 ans, tu es intelligent, tu es capable d’estimer toutes les valeurs. Dis-moi, s’il te pla;t, ;prouves-tu de la honte devant tes amis, tes camarades quand ils me voient ? Ta s;ur est handicap;e, ta m;re aussi et tout le monde le sait. Ce n’est pas facile pour toi ?

- Oui, tout le monde le sait,- r;pondait Dimitri,- mais tu as bien dit, j’ai 10 ans. Je r;fl;chis autrement. Non, maman, ;a ne me d;range plus. Je t’ai racont; les ;v;nements de mon enfance pr;coce, mais sans intention de te faire mal. Pardonne-moi si je t’ai bless;e et sache que je t’adore. Je suis content que tu sois ma m;re. La seule chose dont j’ai le plus peur, c’est de te perdre.

- C’est l’essentiel, merci mon fils,-ai-je dit, retenant mes larmes.
Beaucoup de sentiments se sont install;s dans ma t;te apr;s de tels aveux. J’avais envie de pleurer et de me r;jouir. Pleurer de tant de v;rit;s dures qui serrent le c;ur. Pleurer de la joie d’une victoire aussi difficile. J’ai le droit de dire que je ne vis pas inutilement. Les sentiments d’amour envers la maman qui sont bien ;vidents d’ailleurs, pour lesquels je me battais depuis  plusieurs  ann;es.  Cet aveu traduit l’intimit; spirituelle entre nous. Dimitri parlait avec moi comme avec sa vraie amie ;tant s;r qu’il serait compris sans recevoir de reproches et sans disputes. J’ai per;u que ce n’;tait pas facile pour Dimitri de se livrer ainsi ; sa m;re. Nous nous sommes embrass;s.

-   Toi aussi, tu es mon meilleur ami,-ai-je dit ; mon fils pour ne pas lui montrer le bouleversement cr;e en moi par ces confidences aveux.
               

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