Journalistes et medias francais presumes coupables

Ñåðãåé Æèðíîâ
Serguei JIRNOV, politologue, journaliste, refugie politique, ancien eleve de l'ENA


En juillet il ne se passe presque rien en France. Tout le monde est en vacances. Les medias ne diffusent rien d’original, rien de bon, rien de neuf. C’est l’epoque des "rediffs" interminables, des "best of", du vieux rechauffe et resservi, du deja vu et deja entendu.

Je profite de cette periode intellectuellement morte pour engager une reflexion de fond sur un sujet important.


LES MEDIAS ET JOURNALISTES FRANCAIS PRESUMES COUPABLES


Le chemin en enfer est pave de bonnes intentions.

L’ironie de la vie est telle que les pires catastrophes n’arrivent pas forcement par la mauvaise volonte. Le plus souvent elles arrivent aux gens actifs, sinceres et pensant bien faire, mais pas suffisamment competents et/ou mal formes. C’est le cas de mes collegues, de la plupart des journalistes francais.

Les journalistes francais, en grande majorite, veulent et pensent bien faire leur metier. Le probleme c’est qu’ils ne sont pas suffisamment rigoureux avec la parole et l’ecriture, pas suffisamment respectueux des mots et des notions exactes, surtout juridiques, qui peuvent etre differentes des notions du langage commun, de la langue parlee tout les jours.

Ils ont entendu dire qu’il ne faut pas publiquement accuser les gens sans preuves. Que nul n’est juridiquement considere coupable qu’a l’issu d’un proces equitable et lorsque tous les recours juridiques ont ete epuises. Que jusqu’au moment de l’entree officielle en vigueur du verdict judiciaire definitif, l’accuse doit etre considere comme innocent. Mais ils n'ont pas reflechi vraiment ce que cela veut dire exactement et quelles consequences precises cela entraine pour chacun d'eux dans le quotidien de leur metier.


La presomption d'innocence dans les medias francais.

Il suffit d’ouvrir un journal francais, d’allumer un poste de radio et de television, de se connecter a l’Internet, et l’on lis et entend tout le temps, partout et systematiquement : le meurtrier PRESUME, le violeur PRESUME, le cambrioleur PRESUME, le terroriste PRESUME, etc.

Personne en France ne fait plus attention a ce que chaque fois que le mot "PRESUME" soit employe, ecrit ou prononce par un journaliste, diffuse par un media dans ce contexte precis, une faute juridique grave est commise. Voire un delit. Aux yeux de la loi.
Les journalistes francais pensent bien faire dans le fond, mais se trompent dans la forme ne sachant pas faire correctement. Ils utilisent la plupart du temps le mauvais mot - PRESUME. Ou, plus exactement, ils utilisent un bon (correct) mot dans un mauvais (incorrect) contexte, a mauvais escient. Juste un seul mot correct mal employe! Mais cela change tout. Radicalement!

On a l'impression que dans toutes les redactions francaises tout le monde a debranche le cerveau, que les auteurs des textes ne comprennent pas ce qu'ils ecrivent et que ceux qui les lisent aux antennes des televisions et sur les ondes des radios, repetent comme les perroquets sans cervelle une connerie.

Pourtant c'est tres simple. Reflechissez deux secondes.

Nul ne peut etre a la fois deux choses contradictoires et opposees. Nul ne peut etre PRESUME coupable et PRESUME innocent a la fois. Donc, le "PRESUME" meurtrier (violeur, cambrioleur, terroriste, etc.) dans la bouche et sous la plume des journalistes ne peut plus (en meme temps) etre un PRESUME innocent, comme oblige la loi. Dans toute logique (qui a du mal a se faire comprendre par les journalistes), le "PRESUME" meurtrier (violeur, cambrioleur, terroriste, etc.) est automatiquement PRESUME coupable! Ce qui, de la part des journalistes qui l'affirment et des medias qui le diffusent, constitue un delit au regard du droit international et francais.

Le mot generalement inapproprie "PRESUME" (acquit d’avance, jusqu’a preuve du contraire decidee par une cour de justice) est systematiquement employe dans les medias francais a la place des mots corrects "SUPPOSe" (soupconne, hypothetique, soi-disant, possible, pretendu, probable, apparent ; etc.).  Voila le probleme!

Les journalistes devraient dire : le meurtrier suppose, le violeur suppose, le cambrioleur suppose (soupconne, hypothetique, soi-disant, possible, pretendu, probable, apparent, etc.) Et jamais "PRESUME". Jamais de la vie professionnelle d’un journaliste parlant des affaires juridiques et judiciaires! Car pour la loi il n'existe qu'une seule et unique presomption - celle de l'innocence. Et aucune autre!

J’en conviens, la linguistique generale francaise n’est pas forcement claire, limpide et lisible dans ces definitions. Elle peut meme embrouiller les esprits. Il suffit de consulter les dictionnaires de reference. Le Petit Larousse defini correctement le "presomptif" (du latin praesumptus, pris d’avance), mais qualifie la "presomption" (du latin praesumptio, conjecture) comme "opinion par laquelle on tient pour vrai, pour tres vraisemblable, ce qui n’est que probable". Donc, quasiment l’inverse de ce que comprend et sous-entend la justice francaise, en particulier, et celle du monde entier civilise, en general, lorsqu’elle parle de la presomption d’innocence.

Le mot "PRESUME" (acquit d’avance, jusqu’a preuve du contraire decidee par une cour de justice) est systematiquement mal employe en France par les journalistes dans les comptes rendus des enquetes et proces, juridiquement, c'est-a-dire dans le jargon professionnel juridique et judiciaire, car il n’est pas du tout un synonyme de "suppose", "pretendu", "soupconne", "hypothetique", "probable", etc., comme il peut l'etre dans le langage courant.

La justice a volontairement decide de reserver dans ces textes et principes, d'associer l’emploi de la notion "PRESUME" (acquit d’avance, jusqu’a preuve du contraire rendu dans une decision officielle et definitive d’une cour de justice) exclusivement avec la notion : "innocent". Et quiconque qui fait autrement, commet un delit au regard de la loi. Neanmoins pratiquement tous les journalistes en France commettent cette faute extremement grave de langage. Tous les jours. Systematiquement. La plupart du temps. En entrainant avec eux dans l’erreur le grand public.

Et personne en France ne semble plus le remarquer ni s’en preoccuper.
- Ni les politiques.
- Ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’etat, ni le ministere de la justice, le Parquet ou le Conseil Superieur de la Magistrature.
- Ni le CSA et autres organismes professionnels de controle des medias.
- Ni tous les enseignants et les formateurs dans les ecoles de journalisme et de droit.
- Ni l’Academie francaise et les professionnels de la linguistique.

En France, chaque jour et a plusieurs reprises, la loi sur la presomption d’innocence est violee par les journalistes au vu et au su de tout le monde. Et personne ne reagit. Personne !

Donc, ils sont tous PRESUMEs coupables de la violation systematique de la presomption d'innocence (ou du recel et de la complicite par negligence) de tous les accuses et soupconnes de France, car les journalistes commettent un flagrant delit publique qui n'a pas besoin d'etre confirme autrement.

Il a fallu que ce soit moi, un journaliste et linguiste etranger, amoureux de la langue francaise et du droit, qui alerte les autorites francaises, les medias et l’opinion publique de la violation generalisee en France de la presomption d’innocence par toute la caste journalistique dans un climat general de laisser-aller.

Par mauvais emploi du bon mot  "PRESUME".

Voila, moi, j’ai alerte. Qui comprendra la gravite de la situation et fera respecter la loi ?

France, juillet 2015


Îðèãèíàë ñòàòüè â áëîãå àâòîðà â Ìèðîâîì Æèâîì Æóðíàëå
http://jirnov-serguei.livejournal.com/8868.html

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Les annexes pour mieux comprendre le sujet:


La presomption d'innocence dans le droit international.

La presomption d'innocence, telle qu'entendue actuellement dans la plupart des pays d'Europe, se fonde sur l'article 11 de la Declaration universelle des droits de l'homme de 1948 de l'ONU qui la formule de la facon suivante :
"Article 11. Toute personne accusee d'un acte delictueux est PRESUMEe innocente jusqu'a ce que sa culpabilite ait ete legalement etablie au cours d'un proces public ou toutes les garanties necessaires a sa defense lui auront ete assurees.»

La presomption d'innocence est egalement reconnue a l'article 14-2 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, a l'article 48 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union europeenne ainsi qu'a l'article 6 de la Convention europeenne des droits de l'homme.


La presomption d'innocence dans le droit francais.

Le principe est affirme en France par l'article 9 de la Declaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 ao;t 1789 (auquel fait reference le preambule de la constitution actuelle) :
«… tout homme etant PRESUME innocent jusqu'a ce qu'il ait ete declare coupable...»

Il est decline dans l'article preliminaire du code francais de procedure penale :
"III. - Toute personne suspectee ou poursuivie est PRESUMEe innocente tant que sa culpabilite n'a pas ete etablie. Les atteintes a sa presomption d'innocence sont prevenues, reparees et reprimees dans les conditions prevues par la loi." (introduit par la loi francaise du 15 juin 2000 sur la presomption d'innocence)

Le Code de procedure penale prevoit egalement, dans son article 304, le rappel de ce principe aux jures d'assises lors de leur prestation de serment :
«Vous jurez et promettez [...] de vous rappeler que l'accuse est PRESUME innocent et que le doute doit lui profiter.»

L'article 9-1 du nouveau code civil, cree en 1993, dispose que :
"Chacun a droit au respect de la presomption d'innocence. Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, presentee publiquement comme etant coupable de faits faisant l'objet d'une enquete ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, meme en refere, ordonner l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communique aux fins de faire cesser l'atteinte a la presomption d'innocence, sans prejudice d'une action en reparation des dommages subis et des autres mesures qui peuvent etre prescrites en application du nouveau code de procedure penale et ce, aux frais de la personne physique ou morale, responsable de l'atteinte a la presomption d'innocence."

Ainsi, la personne qui s'estime victime d'une atteinte a la presomption d'innocence peut assigner son auteur devant le tribunal afin d'en obtenir sa cessation ainsi que la reparation des prejudices subis.
La diffamation telle que definie par la loi sur le Liberte de la Presse du 29 juillet 1881 en son article 29 alinea 1er comme :
"Toute allegation ou imputation d’un fait qui porte atteinte a l’honneur ou a la consideration de la personne ou du corps auquel le fait est impute est une diffamation.
La publication directe ou par voie de reproduction de cette allegation ou de cette imputation est punissable, meme si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressement nommes, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, ecrits ou imprimes, placards ou affiches incrimines."