Message d alexandre plotto aux habitants de sebast

Николай Сологубовский
90-eme anniversaire de l`;vacuation de l`Arm;e blanche de la Crim;e


 MESSAGE D`ALEXANDRE PLOTTO 
AUX HABITANTS DE SEBASTOPOL

Chers invit;s et visiteurs ; S;bastopol, surtout chers habitants de cette ville!

Je prends la parole comme ;tant l'un des plus ;g;s parmi les citoyens de S;bastopol, et comme l'un des derniers survivants  - devenus tr;s rares - qui ont "particip;" (si l'on peut dire) aux ;v;nements, dont le souvenir constitue la raison de votre pr;sence de ces jours. 
Je viens de m'attribuer l'appellation de "citoyen de S;bastopol", alors que ma vie dans la cit; de ma naissance a ;t; tr;s courte  - je n'avais que 5 mois lorsque l'on m`a emport; bien loin de ma patrie. Et pourtant je me sens si fortement li; ; S;bastopol par des racines indestructibles !
Ces racines , ce sont  les membres de ma famille et des familles apparent;es dont les vies ont ;t; associ;es ; la vie et ; l'histoire de S;bastopol.
Le plus proche de moi, c'est mon p;re, Vladimir Alexandrovitch Plotto; c'est ; S;bastopol que s'est d;roul; tout son temps de service dans la Flotte -jusqu'; son d;part contraint lors de l';vacuation de cette Flotte hors de Russie en 1920. En mai 1914, ; sa sortie de l'Ecole Navale, jeune aspirant de marine, il a ;t; affect; en Mer Noire. Promu officier - avec le grade d'enseigne de vaisseau - au moment de la d;claration de guerre avec l'Allemagne, il a d; imm;diatement faire face ; sa situation de combattant. Pour sa participation ; certaines "actions contre l'ennemi" il a ;t; d;cor; de l'Ordre de Sainte Anne de 3-;me classe avec mention "Pour la bravoure". Nomm; officier sur le dreanought "Imp;ratritsa Mari;a", il a servi sur ce b;timent depuis sa mise en service jusqu'; sa perte par explosion en pleine rade de S;bastopol. Ainsi cette rade de S;bastopol aurait pu devenir son lieu de repos ;ternel; il serait devenu "citoyen de S;bastopol" pour le si;cle des si;cles ... - ... mais moi je ne serais pas venu au monde !  
Le plus marquant des citoyens de S;bastopol dans ma famille est mon grand-p;re maternel, S;rgue; Karlovitch Koulstrem. Il ;tait capitaine de vaisseau lorsque, d;sign; pour la fonction de pr;fet de S;bastopol, il y a d;m;nag; en 1909. Il y est mort en 1913, dans l'exercice de cette fonction, mais d;j; promu au grade de g;n;ral-lieutenant de la Flotte.
Je dois ici exprimer ma gratitude ; Alexandre Andr;;vitch Zoubarev, historiographe ; l'H;pital de la Marine du nom de Pirogov, pour m'avoir procur; des exemplaires du journal "Le Messager du M;decin de Marine" dans l'un desquels il a publi; un article sur la  vie, la mort et les fun;railles de S;rgue; Karlovitch. Comme il m'a ;t; int;ressant d'apprendre l'activit; d;bordante de mon grand-p;re - en dehors m;me des charges de sa fonction  - dans de nombreux comit;s et organismes de S;bastopol. J'avoue avoir lu avec une certaine fiert; qu'en r;union pl;ni;re ; l'occasion de ses fun;railles-  le conseil municipal de la ville d;cida d'inscrire sur la couronne mortuaire "De la part du gouvernement de S;bastopol, ; S;rgue; Karlovitch Koulstrem, homme d'une int;grit; absolue". De m;me en lisant dans l'article n;crologique du "Messager de Crim;e" : "Le d;funt avait peu d'amis, mais surtout des ennemis, de ceux qui s'adonnent aux petites combines, ceux dont l'incorruptible int;grit; du d;funt g;nait les magouilles  ".
Pour ce qui est de mon autre grand-p;re, l'amiral Alexandre Vladimirovitch Plotto, je sais seulement qu'il ;tait en Mer Noire  au d;but de la Guerre mais je crois que c';tait ; Odessa. En 1916 il commandait la base navale du port turc de Riz;, occup; par nos forces; et en 1919, apr;s la capitulation de la Turquie, il fut affect; ; la base russe de Constantinople. On ne peut donc pas dire que sa vie ait ;t; fortement li;e ; Sebastopol. Par contre il faut savoir que sa s;ur Nathalie ;tait mari;e ; l'amiral F;odor Al;ks;evitch V;atkin qui fut commandant du port de S;bastopol, et sa s;ur V;ra ;tait l';pouse du g;n;ral-major Evgu;ni; Al;ks;evitch Pastoukhov, fr;re de l'ing;nieur-m;canicien principal du port de S;bastopol Nicolas Pastoukhov; un autre fr;re Pastoukhov, Constantin, fut le chef du secr;tariat de la pr;fecture de S;bastopol .
Voici donc d;j; comment ma famille a ;t; repr;sent;e ; S;bastopol !
Puis mon mariage m'a li; avec une autre famille de marins, les Kouchtchinski! Mon beau-p;re, Evgu;ni; Aleks;;vitch, ; sa sortie de l'Ecole Navale, a ;t; nomm; ; S;bastopol; il a navigu; sur diff;rents b;timents de la Flotte de la Mer Noire jusqu'; son ;vacuation en novembre 1920. Son grand-p;re, Trifon Gu;orgui;vitch Kouchtchinski, ;tant sous-lieutenant du Corps des navigateurs de la Flotte, a particip; ; la bataille navale de Sinope - d;faite cuisante pour la flotte turque - puis a combattu sur les fortifications-nord au cours du si;ge de S;bastopol.
C';tait alors la "guerre de Crim;e", la guerre ; Sebastopol-m;me ... Mais je peux remarquer que mon arri;re grand-p;re, Karl F;odorovitch Koulstrem, avait aussi particip; ; la "guerre de Crim;e" - mais c';tait loin de S;bastopol, c';tait dans le Golfe de Finlande quand les escadres anglaise et fran;aise mena;aient Saint P;tersbourg. C'est que les actions militaires entreprises lorsque les forces arm;s de l'Angleterre, de la France, de l'Autriche, de la Sardaigne et de la Turquie attaqu;rent la Russie - aussi bien en Crim;e qu'en Baltique, sur les Solovki ou au Kamtchatka - font toutes partie de la "guerre de Crim;e". Gagner la "guerre de Crim;e", c';tait pour les alli;s attaquants gagner la guerre contre la Russie.
La Crim;e c';tait, c'est la Russie.
De m;me, il y a 90 ans, pour tous les navires qui prenaient la mer vers Constantinople, la Crim;e dont les c;tes se perdaient au loin dans la brume nocturne, c';tait la Russie qu'ils perdaient.   
Oui ! Il y a 90 ans ! Ce furent des jours terribles et douloureux ! Pas seulement pour ceux qui partaient - pr;s de 150 000 personnes, mais aussi pour de nombreux qui restaient. Les ;migrants, eux, perdaient leur Russie, mais plus de 100 000 restants perdirent leur vie ou leur libert; au cours des mois qui suivirent, lorsque r;gna la " Terreur rouge"  organis;e par les Bela Kuhn et d'autres qui ha;ssaient la Russie
Je ne veux pas m';tendre sur ces jours tragiques. Les historiens se chargent de les analyser.
Je voudrais seulement me rapprocher de vous, je voudrais m'unir ; vous dans vos sentiments; je voudrais ;tre avec vous, non comme un touriste, un visiteur de passage, mais comme un v;ritable citoyen de S;bastopol.
Je me souviens de ma jeunesse ; Bizerte; encore adolescent, je pensais quelquefois ; mon avenir. Il m'arrivait d'aller vers la baie o; finissaient de rouiller quelques bateaux venus de Crim;e en1920; j'arrivais ; grimper sur le pont d'un des vieux torpilleurs, je m'installais dans le poste de commande, je fermais les yeux et je me p;n;trais de la conscience que j';tais sur un navire construit en Russie, un navire de la Flotte russe et je me mettais ; " imaginer" - ; imaginer que s'il n'y avait pas eu cette r;volution horrible ma vie aurait ;t; si diff;rente; mon avenir aurait ;t; si ;vident, j'aurais suivi la trace de mes p;re, grand-p;res, arri;re-grand-p;res et autres anc;tres et parents officiers de marine (j'en ai compt; pr;s de 30 dans ma famille).
 Mais ce n';tait que r;ve !
Et si j'avais ;t; aujourd'hui ; S;bastopol, peut-;tre serais-je all; au bord de la mer et j'aurais aussi un peu r;v;: pourquoi ne suis pas un vieux marin retrait; revenu dans le berceau de son enfance apr;s un longue vie ; bourlinguer au loin, au service de la Russie ?
Mais les pens;es me ram;nent ; ces jours d'il y a 90 ans. Oh! Ce ne sont pas des souvenirs - je n'avait que 5 mois. Je sais par ou;-dire que de S;bastopol ; Bizerte on m'a port; d'un navire sur un autre. On aurait d; partir sur le "Gn;vny; " , le torpilleur de mon p;re, mais au dernier moment il fut affect; sur le "Pylki;", sur lequel nous arriv;mes ; Constantinople; l;, il revint sur le "Gn;vny; " et la famille fut plac;e sur le Ts;rigo. Nous sommes rest;s ; Constantinople pr;s de 3 mois, attendant que des remorqueurs partis ; Bizerte en d;cembre reviennent chercher les bateaux rest;s en Turquie; notre trajet Constantinople-Bizerte se fit sur le vieux cuirass; Gu;ogui; Pob;donoss;ts.
      Notre vie en Tunisie fut celle de nombreux "r;fugi;s russes". Est-ce la peine d'en parler?
L'exp;rience due ; ma longue vie professionnelle confirma  ce qui n';tait au d;but qu'une r;flexion due ; l'amertume d';tre un "r;fugi;". Oui, nous avions beaucoup perdu du fait de ces "jours tragiques" d'il y a 90 ans, mais c'est surtout la Russie qui avait perdu. Sans m;me parler de tous ceux qui ont p;ri au cours de la r;volution , de la guerre civile, combien de forces vives, combien de cerveaux, de talents quitt;rent alors leur patrie et furent perdus pour la Russie ! .. et se retrouv;rent dans d'autres pays dans le monde. Certains ;migrants ont rendu leurs noms c;l;bres dans les domaines de la science, de la technique, de l'art, de la culture. On en parle quelque peu. Mais combien d'autres sont rest;s anonymes. Et pourtant ... !   
J'ai moi m;me travaill; dans une grande entreprise fran;aise de l'industrie ;lectrique; mes fonctions m'amen;rent ; rencontrer des personnes haut-plac;es dans les r;seaux de production d';nergie de nombreux pays du monde. O; que ce soit, en France, en Belgique, au Br;sil, aux USA, en Australie ...  de nombreuses fois j'ai eu affaire ; des ;migr;s russes ou leurs descendants, et cela dans diverses sp;cialit;s. Je pensais chaque fois que c';taient des comp;tences qui auraient d; servir la Russie.
Dans les ann;es 60 j'ai eu aussi ; me rendre en Union Sovi;tique avec un groupe d'ing;nieurs. De ce voyage les impressions les plus diverses me sont rest;s; des sentiments agr;ables comme celui d'entendre parler russe tout autour de moi, de m'installer dans le m;tro et regarder tous ces Russes, dont beaucoup plongeaient leurs regards dans un livre; un sentiment de bonheur en d;couvrant tant de monuments et  d';uvres rappelant la richesse de l'Histoire et de la Culture russes ... et cela dans un pays dont le "R" du nom - U.R.S.S.- n'indiquait m;me pas qu'il ;tait russe. Il y avait aussi d'autres impressions  qui ;taient loin d';tre positives ...   De plus j'ai ;t; tr;s traumatis; par le fait de ne pouvoir aller ; Mon S;bastopol. Notre itin;raire nous avait amen; ; Yalta, nous ;tions si pr;s de S;bastopol ... mais, ; cette ;poque, S;bastopol ;tait une "ville ferm;e". Quelle d;ception pour moi!!!
Comme tout a chang; depuis cette ;poque ! Quel bonheur tout ce changement ! Combien il a fallu attendre ! Mais maintenant c'est moi qui suis incapable d'aller vers vous - l';ge a enlev; mes forces. Mais cela ne fait rien. Je me r;jouis de pouvoir communiquer sans aucun probl;me avec les habitants de S;bastopol !
Je me r;jouis simplement de savoir que j'aurais pu y aller si mes forces l'avaient permis; je me r;jouis de savoir que j'aurais vu le pavillon de Saint Andr; flotter sur les navires en rade S;bastopol. Voila !
Mais parlant de ce pavillon, je sens comme un nuage assombrir mes pens;es. Est-ce possible que dans quelques ann;es ce symbole des gloires de la Russie disparaisse de cette rade ? Cela rappellerait presque les journ;es d'il y a 90 ans. Est-il admissible que la croix d'Andr; le Premier Appel; disparaisse des c;tes de la Crim;e, cette terre o; le Saint Ap;tre a mis le pied pour sa mission d'apporter l'Evangile aux peuples de la Russie? Esp;rons, Esp;rons que cela ne se fera pas !