La derniere abyssinie

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La derniere Abyssinie.
La vie peu r;elle et ennuyeuse d’Arthur Rimbaud en Afrique

Pour le 150eme anniversaire de la naissance d Arthur Rimbaud, un fameux ecrivain et dramaturge petersboujouois, Nicolai Iakimtchouk, a invente l image des dernieres annees de la vie du genie en Afrique dans la piece La Derniere Abyssinie.
Rimbaud est un vrai phenomene dans le domaine de la litterature mondiale. C etait un jeune homme genial, que Victor Hugo a defini comme le « Shakespeare Enfant ». La creation de son oeuvre n a dure que trois ans, mais pendant ces trois ans ses poemes et ses poemes en prose ont illumine toute la poesie francaise du XIX siecle en ouvrant les horizons du futur. Apres il s est tut de sa propre volonte, mais jusqu a present il reste un des plus grands evenements culturels.
N etant pas realiste, la piece nous montre le combat spitituel interieur du poete pendant son sejour en Afrique. Elle est perce par l amour profond envers ce genie revolte.LA DERNIERE ABYSSINIE
Par Nicola; Iakimtchouk

La vie peu r;elle et ennuyeuse d’Arthur Rimbaud en Afrique


Sc;ne 1

Rimbaud est debout au bord de la mer Rouge. Il est habill; d’un simple pantalon blanc et d’une chemise de toile claire qui pend sur son pantalon. Il s’adresse au cosmos, au haut des hauts. On peut m;me dire qu’il ;tait lui-m;me seulement quand il conversait avec les cieux.

R : Tu veux que je devienne comme tout le monde ?! Voil;, je t’en prie, c’est arriv;. J’aurais voulu le miracle, avoir l’;t; du paradis, mais ;tant en enfer. Je n’ai pas r;ussi. Le monde m’a vomi avec tous mes fantasmes. Avec toutes mes visions. Pendant longtemps, je ne voulais pas me r;signer. Mon orgueil troublait mon esprit. Mes folies tourmentaient mes parents et mes amis. Je cherchais l’absolu et dans mes recherches, je d;truisais tout ; ; gauche et ; droite. J’ai re;u la carte gagnante, j’ai su jouer avec les mots, virtuosement. Comme avec ces grains de sable.

Rimbaud enl;ve sa chemise, enl;ve sa ceinture contenant de l’or en grain et l’agite.

R : Comme avec ces grains d’or. Il s’av;re qu’ils ont une certaine valeur dans ce monde. Je les jetais au vent.

Il se penche, ramasse du sable et le jette au vent. Ensuite, comme par inertie, il d;fait la ceinture. Les grains d’or serpentent ; ses pieds et se m;lent avec les grains de sable. Telle une ;clipse, son esprit se trouble. Puis, une fois l’;clipse termin;e, il se jette par terre et pousse un cri sauvage.

R : Oh ! Oh ! Oh! L’or! O;? Mon unique et fid;le compagnon ! Mon ami le plus s;r.

Il reste par terre et embrasse sa ceinture.

R : J’ai jou; sur toutes les cordes du Bien et du Mal. Je voulais conduire le monde vers de nouveaux horizons. Je voulais ;tre la lumi;re du monde. Tout est vain. Il s’av;re que ce ne sont que les reflets de l’or qui int;ressent les gens. Uniquement le veau d’or a une forme harmonieuse. C’est seulement pour ces grains mis;rables que nous sommes pr;ts ; tout! J’ai vendu les peaux des buffles ; Harar. J’ai fourni des armes aux caravanes du roi ;thiopien M;n;lik. J’ai empoisonn; les chiens qui d;voraient les peaux et, par m;garde, des moutons. On m’a dit que certains grecs en sont d;c;d;s m;me apr;s leur consommation. Que m’importe de ces grecs ? Le plus important pour moi actuellement, c’est l’or. C’est l’or qui me donne tout ce qui est important et indispensable ! Etre ind;pendant de tout et de tous, n’importe o; ! Oui, oui, moi, le plus grand des querelleurs et des t;tes en l’air, je suis devenu un fonctionnaire tout ; fait comme il faut. Dans ce trou maudit, o; les m;urs sauvages, la peste, la faim se d;cha;nent et, d;s que la nuit tombe, la poign;e des arm;niens et des grecs se calfeutre en tremblant dans leurs cabanes. C’est juste ici, qu’avec toute ma passion, je me lan;ais dans n’importe quelle aventure, pour me procurer un peu d’argent… J’;tais attir; par son odeur. De la m;me mani;re acharn;e, autrefois je voulais parvenir ; la reconnaissance universelle et ; la gloire, ; n’importe quel prix! Et quoi ; ni l’une ni l’autre. Silence. Soleil couchant. Reflets. Les cris des hy;nes et des chacals. (Il tombe ; genou, touche les grains de sable). Oh ! Si j’avais autant d’or qu’il y a de sable ici. Je quitterai imm;diatement ce d;sert sauvage et indomptable ! Finalement je pourrais me marier, je pourrais donner ; mon h;ritier la meilleure ;ducation, et lui, j’en suis s;r, pourra devenir un grand savant ou un ing;nieur g;nial. En se basant sur un putain de truc fort compliqu;, il pourra retourner le monde ! (Sauvagement il vide tout son or sur le sable.) Oh! Je vais m;ler mon or avec l’infini de la mer. Tous les tr;sors de cette rive sont ; moi ! Je suis le Dieu le plus heureux de ce monde ! Nommez-moi le Dieu et je vous arrange une vie magnifique. Je vous accepterai et pardonnerai tous vos p;ch;s ! Je vous conduirai avec la fermet; d’un voyant vers de grands buts ! Nous embrasserons tout le cosmos et conna;trons les secrets des autres univers ! On apprendra ; lire les pulsars, les quasars et les outre limites, qu’on n’a pas encore d;couvert. (Il se rend compte que son or est m;l; au sable) Orgueilleux ! Fou ! Qu’est-ce que j’ai fait ! D;s qu’on c;de ; ces impulses po;tiques maudits, tout se d;truit ! (en sanglotant, il essaie de distinguer le sable d’or de celui de la mer). Mon Dieu, maintenant c’est impossible ! Tout s’est m;lang; ! Je cr;ve ! Je suis ruin; ! Univers rigolot !

Sc;ne 2

Rimbaud est assis dans sa maison de Harar. Devant lui se trouve la table en bois, grav;e comme les touches d’un piano. Arthur pianote ;nergiquement une quelconque m;lodie classique. On frappe ; la porte. Entre Lauris Tchak.

T : Excusez-moi, puis-je voir Monsieur Rimbaud ?
R : Vous ;tes d’Aden ?
T : Je suis arriv; tout ; l’heure, enfin, cette nuit.
R : (en continuant ; pianoter la m;lodie) Et quoi ?
T : J’ai pour vous une lettre de recommandation de la par de Monsieur Jilling;re.
R : (captur;, en laissant tomber le « piano ») Oh, donnez voir ! Un brave type, ce Jilling;re. Comment va-t-il ?
T : A Aden la chaleur est insupportable. Les cerveaux fondent, on n’arrive m;me pas ; s’endormir pendant la nuit. Trente degr;s ; l’ombre. Et Monsieur Jilling;re vend toujours avec succ;s les os d’;l;phant. Bien qu’il dise qu’il en a marre de cette affaire. Bizarre...
R : (en faisant ;cho) Bizarre... Rien de bizarre... Vous avez un accent marqu;. Vous ;tes qui ? Danois ? Polonais ?
T : Je m’appelle Lauris Tchak. Je viens de Russie. Pour ;tre pr;cis je suis lituanien. J’ai habit; ; Riga, enfin, je pense que ;a ne vous dit rien.
R : Au contraire. J’ai ;tudi; le lituanien, ainsi que le russe. Imaginez-vous. Parfois, durant les longues soir;es d’hiver, quand j’habitais ; la maison avec ma m;re ; Charleville, je me calfeutrais dans un placard ;norme en bois rouge qui appartenait ; mon grand-p;re et je lisais les dictionnaires. C’est comme ;a que j’ai ;tudi; l’arabe, l’italien, le hindi et, comme vous voyez, m;me le lituanien.
T : Fantastique ! Vous ;tes un homme remarquable. A propos de vous, j’ai...
R : Sottises... Et voil; que vous dites ne pas comprendre Jilling;re. Pourquoi veut-il envoyer tout ;a au diable ? Mais parce qu’il en a ras le bol de cette r;p;titivit;. Les d;serts sont peupl;s par des aborig;nes malins et obtus, mais ici font d;faut les routes, les journaux, les livres n;cessaires, et tout ; la fin, les femmes. Tout ;a rend aride le cerveau, dans le sens direct et indirect. Et toi, tu t’ennuis de plus en plus, tu t’angoisses, tu deviens b;te.
T : Excusez-moi, je suis tr;s curieux... Vous avez un visage qui para;t jeune et les cheveux gris... Vous avez 46-47 ans, pas plus ?!
R : Trente-quatre. (pause). Voil;. Et on vieillit... J’en ai marre de tout ;a et on n’en voit pas la fin. Et en plus il n’y a personne avec qui se plaindre.
T : Excusez-moi, je ne suis pas riche... Tout au contraire... Mais je pourrais payer un petit peu. Etes-vous d’accord de me donner des cours d’arabe ? Et je...
R : (continue de pianoter et fait semblant ne pas entendre) Vous voyez, j’exerce, si on peut ainsi dire, la main. Je me rappelle mes m;lodies pr;f;r;es.
T : Je n’osais pas demander. Mais, voil;, vous ne... ne...
R : Fou ? Terminez votre discours sans crainte ! L’habitude est une deuxi;me nature ! Il y a longtemps, ma m;re a refus; de m’acheter un piano. Et c’est ainsi que j’ai grav; la table de la salle ; manger et j’ai jou; avec inspiration.
T : Mais maintenant vous pouvez vous le permettre, non ? J’ai entendu que vous ;tes un homme riche.
R : Riche ? Sottises ! Mais, bien s;r que je peux. Mais ; quel propos ? Tous ces sons de la musique, ainsi que les tableaux, les po;mes, sont superflus. La vie est une oeuvre d’art bien plus noble, n’est-ce pas ?
T : Excusez-moi, mais avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d’accord. La po;sie...
R : (l’interrompant avec imp;tuosit;) Vous ;crivez ?
T : (baissant le regard) C’est ;a, un essai de plume. D’ailleurs, certains de mes po;mes ont ;t; publi;s dans des revues p;tersbourjouoises. Et je ne vous parle m;me pas des quotidiens de Riga.
R : D’accord... Avez-vous un casque de li;ge ? Je vous en donnerai un. D’ailleurs, non. ;a vous ira mieux un burnous . Voil;, prenez (il rev;tit Lauris de v;tements blancs). Vous ne vous transformez pas en proph;te, mais en un derviche-po;te voyageur. D’ailleurs, je suis content d’avoir fait votre connaissance. Il semble qu’on devient ami. Seulement, je vous implore : n’;crivez pas de po;mes.
T : Excusez-moi, mais votre opinion est excessive. Voil; et Monsieur Jilling;re...
R : Monsieur Jilling;re, quoi ? Oui, un temps ses po;mes ;taient connus dans un certain nombre de salons londoniens. Les jeunes polissons s’enivraient de ses recherches raffin;es. Et certaines dames les ont recopi;s dans leurs journaux intimes. Depuis, beaucoup a chang;. Le romantisme a touch; ; sa fin. On a chass; de ce paradis les fous impr;visibles. Les fain;ants ennuy;s, se sont mis au business. Quelqu’un est parti pour les colonies lointaines. Quelqu’un est mort. Les lois de fer de la terre sont rest;es ; leur place.
T : Et tout de m;me, l’art fleuri.
R : O; ? Quand ? Les livrets de po;mes ; tirage de 20 exemplaires ? Les spectacles pour 50 connaisseurs ? Si, ;videmment, ce n’;tait pas un bricolage grossier, mais une repr;sentation raffin;e. Tout ceci ne produit que des d;penses.
T : Dans ce cas qu’est-ce que vous voulez, vous ? Quel est votre plan ?
R : Dieu sait... Peut-;tre j’aurais voulu voyager. Le monde est si grand et plein de pays magnifiques, que les vies d’une centaine de personne ne suffiraient pas pour tous les visiter. Dans un pays pas plus que deux mois. ;a devient ennuyeux, voyez-vous... D’ailleurs, j’en ai marre de vagabonder dans la mis;re. Quelque millier de francs par an c’est plus que suffisant. Mais, merde, il faut d’abord les gagner ! Et ;a prend les trois quarts de la vie, pour qu’ensuite... Faire passer le reste de la vieillesse, bien cont;e et ennuyeuse, en pleine satisfaction ?!
T : Que faire ?
R : Il y a des chemins diff;rents... Moi aussi, entre nous, j’ai ;crit des po;mes dans le pass;. Apr;s j’ai laiss; tomber. Je ne r;ussissais pas. Je n’y arrivais pas. Dans une autre vie, peut-;tre.
T : Je crois qu’une sorte de drame est cach;e l; dedans. L’amour, peut-;tre. Ou plut;t, si ce n’est pas un secret, pourquoi pas...
R : Etrange. J’ai trop bavard; avec vous, et m;me aujourd’hui, je dois dire, que je n’ai rien bu, sauf un petit verre de riesling. Voulez-vous vous rafra;chir ?
T : Je vous remercie. Je bois seulement de l’eau.
R : Alors voil;. Je pense que si j’avais continu; ; ;crire, je serais, sans aucun doute, devenu fou.
(On entend dans la rue des cris ;tranges et une  musique sauvage). Un petit instant (il sort, il revient). Voil; la r;ponse ! Quelle po;sie de merde ! Ma caravane charg;e d’armes, a ;t; attaqu;e par les Soudanais ! Le reste de la caravane est revenu, les chameliers exigent une augmentation ! Putain ! Tout va en ruine ! Excusez-moi, on va continuer la conversation un jour plus favorable.

On ;teint la lumi;re aux accents d’une musique sauvage.

Sc;ne 3

Rimbaud est allong; sur la peau de buffle. Un petit coffre de voyage est ; c;t; de lui. A gauche et ; droite pendent des lianes tropicales. D’ailleurs on pourrait les remplacer par des cordes maritimes. De l’obscurit; surgit Lauris Tchak.

T : J’ai contr;l; les postes. Tout est en ordre. Deux gardiens somnolaient, et je les ai r;veill;s.
R : Je pense que cette nuit sera tranquille. Les Danakil  n’oseront pas attaquer. Mais enfin, comme toujours, il faut ;tre sur ses gardes. Et ainsi pendant toute la vie. Les routes sont sans paix et repos.
T : « Et la guerre est ;ternelle, et la paix ne vient qu’en r;ve ».
R : (il s’agite). Comme toujours la po;sie ? Mon cher Lauris… ce ne sont que des pierres rythmiques et lumineuses. Rien de plus. ;a n’a aucune influence sur le monde.
T : Attendez, attendez ! Mais qui sait ? S’il n’y avait pas de ces pierres, les hommes seraient peut-;tre diff;rents de ceux qu’ils sont maintenant.
R : Autrefois j’ai essay; d’explorer l’;me des gens ; l’aide des mots. Avec la fr;n;sie d’un fanatique j’ai pr;ch; le nouvel ordre.
T : Eh ! Vraiment ! Le nouvel ? Il para;t qu’il n’y a rien de nouveau sous la Lune.
P : (s’;nerve peu ; peu) La fr;n;sie de mon ;tre me faisait monter aux cieux pour me lancer ensuite dans les pr;cipices de l’enfer. J’ai examin; mon ;me, je l’ai tent;e, en la s;chant. Je l’enlaidissais. En pleine conscience et pour longtemps, je mettais en d;sarrois tous mes sentiments. J’exp;rimentais toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie. Je m’ext;nuais avec tous les poisons. Des souffrances indescriptibles mes d;voraient. Et seulement un effort surhumain me retenait. Oui ! J’;tais le plus malade, le plus maudit, le plus criminel et, en m;me temps, le plus instruit des gens !
T : Et c’;tait une grande illusion ?!
R : (revenant ; lui). Eh, oui, c’;tait bien une grande illusion, qui s’est r;duite en poussi;re.
T : Dis donc, ;a vient d’un manifeste ou quoi ?
R : Quand je l’ai inculqu; ; Verlaine...
T : Vous connaissiez ce m;me Paul Verlaine ?
R : Ha ! Et il m’a m;me tir; dessus et m’a perc; la main de part ; part.
T : Mais qu’est-ce que vous racontez l; ! Excellant !
R : Il me collait toujours au cu, comme si j’;tais sa m;re. Il n’avait pas d’id;es, de buts, vous comprenez ? Comme vous, par exemple... Excusez-moi.
T : Mais j’essaie. Je vais vers n’importe quelle flamme, je la vois, cette flamme...

En ce moment, derri;re Rimbaud appara;t une flamme ;trange, inqui;tante et magn;tique. On entend les sons de la musique barbare. Tchak tend les mains vers cette lumi;re. Il veut de toutes ses forces l’impossible.

R : Voil;, voil;. Ne sont-elles pas les veilleuses du Diable ? Regardez bien, est-ce que ce n’est pas la couleur de l’orgueil ? Hein, Lauris ?
T : Je ne sais pas, je me suis embrouill;. Je suis venu ici, en Afrique, non seulement pour un bout de pain. Je... fuyais de moi-m;me.
R : Ou plut;t c’est le chemin vers soi-m;me, le chemin des pertes, des ;preuves, le chemin du sang et de la libert; ?
T : A propos, j’ai re;u hier la lettre de ma fianc;e Christine. Cette jeune fille tr;s ;nergique, est toujours en train de chercher son propre chemin. Elle a d;j; pris le bateau ; Alexandrie et se dirige vers Aden. Dans deux semaines elle sera ; Harar.
R : « Il n’y a pas de gens raisonnables ; dix-sept ans ».
T : J’en ai d;j; vingt-quatre.
P : Ce n’est rien d’autre qu’un souvenir. ;a vient des po;mes de ma jeunesse.
T : (en se tapotant le front). Ah, ces putains de moustiques !
R : Je ne leur pr;te presque plus d’attention. L’Afrique rend l’homme plus brutal, plus pr;cis, plus important.

Au fond de la nuit abyssine on entend des sons barbares et mena;ants.

T : Oh, ces cris des Danakil.
R : (se levant, inquiet). ;a ressemble ; oui. Je n’ai jamais pens;, qu’ils auraient pu se remettre aussi vite de l’;chauffour;e d’hier. Prenez mon pistolet et allez chez les chameliers. Il faut les tranquilliser, leur inspirer la vigueur de l’;me.
T : Et vous... d’o; vous vient votre vigueur ? Il me semble que vous n’;tes pas croyant ?
R : Je me tiens derri;re l’horizon, que je ne vois pas, mais que je sens. Et alors, tout est possible. Allez, Tchak. On a assez bavard; des diff;rentes abstractions. Demain nous attend la derni;re travers;e. Si nous passons ; travers cette gorge ; ce sera tout ! Nous aurons gagn; ! Les Danakil n’oseront plus nous emmerder !

Tchak part en courant. Rimbaud se l;ve, il se jette sur les ;paules la peau du buffle. Il examine dans l’obscurit; tant;t la salle du th;;tre, tant;t l’;ternit;.

R : Oui ! Il me pla;t ce jeune homme. Voil; pourquoi je cr;ne. C’est vrai qu’il y a d;j; longtemps que je vis automatiquement. Je me suis mis au coin, je m’;teins. L’;normit; des affaires ne me sauve pas. Je ne peux plus croire en moi, et mon orgueil m’emp;che de croire avec acharnement en Dieu. Qu’est qui reste ?! La voil;, la derni;re Abyssinie.

Sc;ne 4

Le soleil du jour br;le. On entend de loin des coups de feu. Rimbaud et Tchak sont couch;s sur des manteaux de soldats. Tchak (peut-;tre) en boudionovka  (et sans ;toile rouge). Ils tiennent dans leurs mains des pistolets.

R : Ces vilains Danakil, que le Diable les emporte !
T : Je pense que c’est la derni;re de leurs attaques.
R : Qui sait, qui sait ?! O; est-il, le champ de notre bataille finale ? Et avec qui ?
T : (en avan;ant et en tirant). Quoi ?
R : Vous entendez ces bruits ? (En ce moment r;sonnent sans pause les m;lodies sauvages et guerri;res des Danakil).
T : (en avan;ant et en tirant ; nouveau). Quoi ?
R : (tout ; coup comme en tombant en transe). J’aurais r;ussi ma vie si j’;tais rest; ; Paris ou ; la ferme de ma m;re ; Roche ? Hein ? Tchak, dites-moi ! Les so;leries en compagnie de Verlaine, la marginalit;, les fausses th;ories litt;raires. Et ici, c’est une variante du destin. Avec les coups des doigts m;rs sur un tambour adroit, tu pourrais lui arracher tous les sons de l’univers ; le d;but de l’;chec et d’une nouvelle harmonie. Un pas de c;t;… et tu joues ton va-tout, tu gagnes ou tu perds tout ! D;cide-toi, d;cide-toi, Rimbaud ! Un saut dans l’inconnu – la naissance d’un nouvel amour. Un nouveau vol ; c’est un autre amour qui frappe ; la porte ! Le fouet nomm; temps n’a pas de gr;ce ; les surveillants sont en r;alit; des gentils enfants. Ils te d;plorent et chantent de toi. Venu vers nous pour toujours, tu seras partout.

Il tombe en transe sous la musique sauvage des Danakil. Son corps est parcouru par des spasmes comme s’il tremblait de fi;vre. Il se l;ve de toute sa hauteur au-dessus du parapet.

T : Qu’est-ce que vous faites, Monsieur Rimbaud ? Revenez en vous, qu’est-ce qui se passe ?! Couchez-vous ! (Il saisit Rimbaud par la manche).

Une des bizarres fl;ches des Danakil (ou peut-;tre une ;pine) perce la paume de Rimbaud.

R : (tombant). Le voil;... ;a c’est fait !
T : Mon Dieu ! (enlevant le fl;che de la paume). Mais qu’est-ce qu il y a, Monsieur Rimbaud ! Ce n’est pas le moment ! (Il avance au derri;re du parapet et il tire). Ma parole ! N’;tes-vous pas tomb; malade ? N’;tes vous pas pris par la fi;vre ?
R : (avec un rire bref et illumin;). Oh, non ! Cette maladie est cent fois plus collante et perfide ! On ne peut pas s’en d;barrasser de toute la vie !
T : Vous ne m’avez rien racont; ! Mon Dieu ! Mais vous avez la paume ensanglant;e ! Comment avez-vous pu ;tre si imprudent !
R : Ce n’est rien, laissez tomber. Mais en ce qui concerne ma maladie ! Ce sont les restes de mes illuminations de voyant ! Des fois, vous savez, elles d;ferlent. M;me s’il y a beaucoup d’ann;es que je n’;cris rien. Et voil;, comme un tonnerre c;leste !
T : (d;chire sa chemise et essaye d’envelopper la main de Rimbaud). Je vous comprends totalement. Mais maintenant on s’en fout de l’art ! Mais qu’est que vous avez ?!
R : C’est ;a ! Qu’il soit maudit, l’art ! D’ailleurs c’est la m;me paume que Verlaine m’a autrefois perc;. N’est-elle pas une salutation de sa part ?
T : Qu’est-ce que vous dites ? Laissez tomber !
R : Ne croyez pas. Nos relations permettaient bien ces trucs mystiques ! En g;n;ral, Lauris, j’ai remarqu; que depuis votre apparition les choses qui m’entourent, changent. Je suis sur le seuil de certains ;tranges ;v;nements. Et voil; que les illuminations viennent dans le moment le moins favorable. ;a se voit qu’une certaine p;riode de ma vie s’;puise.
T : (Regardant par-dessus le parapet). Il me semble qu’ils reculent. Et leurs tambours diaboliques s’assourdissent.
R : Il nous faut tenir bon encore une nuit. Ils ne vont plus nous emmerder !
T : C’est comme dans un conte : il nous faut tenir bon encore un jour, il nous faut tenir bien encore une nuit ! Et voil; les renforts.
R : N’attends pas de renforts ! Compte seulement sur toi-m;me ! Ou alors, si tu es croyant, compte sur Dieu le Seigneur ! Je crains qu’on ne puisse pas faire confiance ; nos chameliers Khousam et Makhmoud. Hier je leur ai ; peine fait entendre raisons.
T : Peut-;tre on va chanter ?
R : Pour le courage de l’;me ? Vas-y !
T : Et quoi ?
R : Voil;, je regarde votre couvre-chef... Il y avait chez nous ; Paris, une chanson au temps des barricades en avril 1871. Les communards chantaient... En ce temps j’;tais parmi les tireurs des casernes babyloniennes...

Rimbaud et Tchak chantent la chanson « Esp;rance, je reviendrai... » de Boulat Okoudjava (ou sinon c’est la voix enregistr;e de Boulat qu’on entend).

Esp;rance, je reviendrai alors,
Quand la trompette sonne le signal de retraite,
Quand la trompette des l;vres approche
Et les coudes tranchants reconduisent.
Esp;rance, je resterai intact :
La terre humide n’est pas pour moi,
Et pour moi ; toutes tes angoisses
Et la bonne terre de tes soucis.
Mais si un si;cle entier s’;coule,
Et tu continues ; esp;rer,
Esp;rance, si au-dessus de moi
La mort d;plie ses ailes,
Tu ordonneras, soit  alors
La trompette se soul;ve couverte de blessures,
Pour que la derni;re grenade
Ne puisse pas me tuer.
Mais si, tout ; coup, un jour ou l’autre
Je r;ussis ; l’eviter,
Quelle nouvelle bataille
N’aurait pas ;branl; le globe terrestre,
En tout cas je tomberai
Pour cette terre lointaine et civile,
Et les commissaires dans leurs casques couverts de poussi;re
S’inclinent en silence au-dessus de moi.

Sc;ne 5

Nuit. Repos. Le visage de Rimbaud est ;clair; par la lumi;re des ;toiles ou par un feu. Il a envelopp; sa t;te dans une serviette qui ressemble ; un turban. Il a li; autour de la taille un ch;le rouge, pour qu’il puisse ressembler plus ; un musulman.

R : (fumant son narguil;). Savez-vous, Lauris, j’;tais pr;t ; devenir croyant.
T : Est-ce vrai ?
R : Oui, c’est vrai, c’est vrai. A ce temps-l; je m’;tais engag; comme brigadier dans une mini;re de Chypre. Sur l’;le de la d;esse Aphrodite.
T : Et quoi encore ?
R : Il y avait des ouvriers. Arabes, Turcs, Grecs. Et s’;tait m;l; ; eux un pr;tre russe. Ex-pr;tre, sans doute.
T : Est-ce possible que les pr;tres deviennent des ex-pr;tres ?
R : Mais, je ne sais pas. La question est d;licate. Une sorte d’histoire sombre. Et peut-;tre trop claire, comme chez nous tous, d’ailleurs.
T : Il se cachait ?
R : On l’a forc; ; s’;chapper de la Russie. C’;tait un homme formidable ! Mais le destin, la providence, le karma l’ont mis dans une situation ;pouvantable. Il ne pouvait pas se justifier ;tant absolument innocent. Vous comprenez ?
T : J’y ai ;t;, dans la m;me situation, une ou deux fois. Rien de bien.
R : Vous dites. Moi, comme toujours, outre tous mes efforts de m;nage, j’ai essay; de perfectionner les langues. Parfois j’ai pass; les nuits avec des Grecs, parfois avec des Arabes. Mais, le plus souvent je conversais, bien apr;s minuit, avec ce pr;tre disgr;c;, nomm; Ioakim.
T : Il ;tait sans doute orthodoxe !?
R : Exactement. J’;tais tr;s int;ress; ; comprendre l’univers d’une autre croyance.
T : Tr;s curieux. Vous avez r;ussi ; trouver les points communs ?
R: J’ai compris une seule chose: la religion orthodoxe est plus proche de l’Orient. Elle est s;v;re, mais elle est pleine d’amour. Tandis que les ;glises occidentales ont beaucoup de f;minit; et tendresse ! Remarquez que leur f;te la plus importante est No;l. Il s’agit de la naissance, hein ? Et chez les orthodoxes, c’est P;ques. C’est le travail de l’esprit, vous comprenez ? Pour cette raison ; J;rusalem on observe la descente du feu de la gr;ce. Et ; No;l il ne se passe pas de miracles fondamentaux. Sentez la diff;rence, comme p;re Ioakim disait !
T : Je ne suis pas tout ; fait d’accord avec vous. C’est-;-dire, avec lui... Questions compliqu;es.
R : (en sursautant). Vous entendez, ces maudits Danakil tapent ; nouveau sur leurs tambours ?!
T : Oui ! De toute ;vidence, on passera une nuit sans ennuis. A propos, comment va votre main ?
R : Ici, sous les vents d’Abyssinie, les blessures gu;rissent tr;s vite. Si, bien s;r, elles ne sont pas mortelles.
T : Dites voir, encore une chose. ;a me tracasse beaucoup. Mais franchement. C’est d;j; la troisi;me nuit qu’on attend l’apparition de Harar, mais...
R : (brusquement). Et vous aussi, Tchak !... Il ne me suffit pas ce chuchotement guttural des chameliers dans le dos. Maintenant c’est vous, vous aussi, comme les autres (avec provocation). Oui ! J’ai choisi le chemin de gauche, j’ai fait mon choix. Mais les autres marchent sur place en regardant en dessous. A gauche ou ; droite ?! Et tout le monde se taisait, tout le monde, d’ailleurs vous y compris. ;a c’est comme toujours : tout le monde attend le r;sultat. Et te f;licitent en te flattant, si tu as gagn;. Ou se r;jouissent...
T : Vous ne pensez pas, je suis votre ami, mais quoi alors...
R : (se tranquillisant). Seulement la patience. Comprenez, l’Orient, c’est en g;n;ral la patience. Le temps n’existe pas, ici. Ou, disons plut;t, que personne ne le compte. Je suis un homme imp;tueux et impatient. C’est comme encore une ;preuve pour moi (il se met sur ses gardes). Vous entendez ? Comme si quelqu’un avait cri;.
T : (avec peur). Non, je n’ai rien entendu...
R : Je vais regarder.

Rimbaud d;cid;ment se cache dans l’obscurit;. Jami s’approche de la lumi;re du feu. Le valet abyssinien d’Arthur, fid;le et d;vou;.

J : Bonsoir, Monsieur Tchak.
T : (se soucie). Oui, oui ! Sera-t-il vraiment bon ?
J : (lui tendant une gourde). Vous en voulez une gorg;e ?
T : Ah ? Non, merci. Je ne bois pas. Quoi que... Qu’est-ce que vous avez l; ?
J : Nous pr;parons cette boisson dans notre tribu pour les guerriers qui vont ; la bataille.
T : (prenant une gorg;e de la gourde) Oh ! Oh ! Oh ! Trop ;pais! Vraiment, ;a renverse!
J : Elle contient les herbes rares et les racines des lianes tropicales.
En ce moment on entend le son des tambours sauvages devenir de plus en plus fort.
T : (h;sitant). Ecoute, Jami... Tu as de bons rapports avec ton ma;tre, non ?
J : Monsieur Rimbaud est tr;s honn;te et juste. Bien s;r, il peut s’emporter... Dire n’importe quoi, quelque chose de superflu...
T : Dis-moi, Jami, honn;tement, entre nous : qu’est-ce que tu penses de notre situation ?
J : Je pense que t;t ou tard nous atteindrons Harar.
T : Oui, c’est ;a… Plut;t tard. Tu ne penses pas que ton ma;tre est trop pr;somptueux ? On a pris une fausse route, c’est ;vident, et il me semble qu’on s’est perdu. Et maintenant... Pourrons-nous nous ;chapper des pattes tenaces des Danakil ? Peut-;tre qu’on p;n;tre de plus en plus dans leur territoire...
J : Mon seigneur s’en inqui;te beaucoup, lui aussi. Mais que faire maintenant ? On se soumet ; la volont; des dieux.
T : Et si on revenait en arri;re ?
J : Je ne pense pas. C’est mieux de suivre une seule route jusqu’; la fin, que de d;mener et en chercher de nouvelles.
T : Tu le pense s;rieusement ? Ou c’est ton ma;tre qui te l’a inspir; ?
J : Je suis toujours d’accord avec mon seigneur.
T : D’accord... Donne-moi encore une gorg;e... Que c’est bon, ;a me prend aux entrailles ! Tu vois, si nous suivions toujours Monsieur Rimbaud nous irions bient;t rejoindre nos a;eux.
J : Dieu sait. Tout d;pend de la volont; de Dieu.
T : Tu sais, comme on dit chez nous : aide-toi et le ciel t’aidera. Donne encore... pour le courage. Oui. Voil;. Je suis un ami de ton ma;tre, tu comprends ? Mais je te dirai franchement : il y a beaucoup de gens qui ne sont pas contents de lui. D;s que tu le contraries, il explose une quantit; de moqueries col;riques.
J : C’est le r;sultat de la fi;vre et d’autres maladies m;chantes.
T : Je comprends, je comprends. Mais c’est aussi le caract;re.
J : Mon seigneur est un po;te. Une nature passionn;e.
T : Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ?
J : Il ;crit pendant la nuit. Il ;crit beaucoup. Et apr;s il d;chire. Combien de papier gaspill;.
T : Et voil;, je le savais ! Il ne pouvait pas tout simplement, comme ;a, dire adieu pour toujours ; l’art ! Mais maintenant il ne s’agit pas de ;a, Jami. Tu comprends, il s’est oppos; ; presque tous les chameliers. Certains se plaignent de lui, et d’autres sont pr;ts ; fuir. Avant qu’on nous abatte tous, essaye de discuter discr;tement avec ton ma;tre. Parce qu’il t’;coute.
J : Mon seigneur est un homme d’humeur changeante.
T : En tout cas, essaye. A propos, comment s’appelle cette boisson miraculeuse ?
J : Tedj.
T : Que c’est bon, qu c’est bon ! Donne (il boit). Et encore. Et voil;… on s’est d;boutonn;s. On dit que ton ma;tre trafique avec les esclaves. J’ai appris ;a par des gens s;rieux.
J : Je n’en dirai pas un mot. Je sers mon seigneur.
T : Ah, Jami, Jami (il le prend dans ses bras). Tu es un brave gars. Mais dis-moi, quand parviendrons-nous ; Harar ?! Je suis sur que ma folle fianc;e y est d;j; ! Monsieur Bardet en personne, s’est offert de l’accompagner. Si tu connaissais Christine ! Elle est romantique, intelligente, expansive ! Les sangs allemand, polonais et lituaniens se sont bizarrement m;l;s en elle. Elle est une excellente chevali;re, et, en plus, tire bien.
J : Ici c’est dur pour les femmes. En particulier pour les blanches.
T : (un peu so;l). Pour qui c’est facile, maintenant ? Une seconde encore et ces affares sauvages nous ach;veront tous. Une belle affaire ! Non, je vais exiger de Rimbaud...

Rimbaud sort de l’obscurit;. Son visage est plein de souci et de tension.

R : Alors, qu’est-ce que vous voulez exiger de moi, cher Lauris ? Hein ? J’attends.
T : Je vais m’exprimer jusqu’au bout. Vous ;tes trop pr;somptueux ! C’est ; cause de vous que la caravane se dirige n’importe o; ! Et moi... moi... je proteste ! Et je ne suis pas le seul !
R : Voil; ! Voil; ! Un complot est en train de m;rir ! (En fureur). Casse-toi de mon chemin, Monsieur Tchak ! Autrement vous finirez mal ! Allez rejoindre ces chacals mis;rables et devenez l’un d’entre eux ! Les voil;, ces natures po;tiques. L;chet;, trahison, esprit changeant ! Votre Verlaine ;tait juste comme ;a ! Et les autres aussi, d’ailleurs.
T : Ne parlez pas ainsi de Verlaine ! Du grand po;te ! Je proteste !
R : Il proteste ! Toute sa grandeur p;rissante aboutit ; l’ind;cision ;ternelle ! (Il sort le pistolet). Alors, qui est le premier de votre compagnie qui ose se battre avec moi ?! Approchez-vous un par un !
J : Il ne faut pas, arr;tez-vous mon seigneur ! Ce n’est pas le moment de se disputer ! Autrement ces brigands vont tous nous abattre.
R : (se refroidissant, en cachant lentement le pistolet sous la ceinture). Et bien. S’il n’y avait pas Jami... Allez en paix, Lauris...
T : Mais, je... Je voulais faire du bien... (En sanglotant). Enfin, comme ;a... je ne verrai jamais ma fianc;e... et elle est tr;s... tr;s... eh bien, tr;s brave.
R : Ah ! Mais vous ;tes so;l !
T : Moi ? Jamais ! Je ne vois pas double... Elle est tr;s... tr;s... tr;s... fid;le et elle m’aime... comme personne... per-son-ne... co-comprenez ?
R : (d’un rire bref). Vraiment, vous avez bu comme un trou ! C’est toi qui l’as so;l;, Jami ?
J : Je lui ai donn; du tedj, je voulais encourager son ;me.
R : Oh ! L’;me d;sire d’autres ;v;nements. O; non seulement la chair r;gne (avec une tension, comme s’il entrait dans le trance fievreux). Oh ! Ame ! Le plus fr;n;tique paradis de grimaces tra;nantes ! Aucune comparaison avec l’optique bonne march;e et les trucs de vos fakirs ! Aucune agitation des bouffonneries th;;trales ! Seulement un pur lotus d’improvisation d’une libre coupe ! Et de partout coulent les vieilles chansons, les sons marasmatiques (oui, c’est l’axe le plus direct vers l’;me !). Alors, partout les jeux barbares des sombres vagabonds et des demi-dieux, dont l’esprit n’appartient ; aucune religion ! Chinois, Hottentots, hy;nes, Molochs, Celtes, les anciennes chim;res… L’;me unit tout ceci. Elle pourrait tomber dans la transe enfantine et interpr;ter de nouvelles pi;ces ou des chansonnettes fra;ches pour les filles de bonne famille. Tout ;a c’est son cabotinage hypnotique ! Et c’est moi seul ; vous entendez ; en m’installant ; l’extr;mit;, au bord de l’ab;me, ; bout de souffle ; je vous dis : moi seul je poss;de la clef qui ouvre ce paradis lumineux ! Et je l’ai perdue.

Rimbaud tombe dans la folie extatique. Tchak cours vers lui. Jami l’arr;te.

J: Ce n’est rien. ;a lui arrive. Bient;t il va revenir. Et tout sera comme avant. Je pense, qu’en tout cas nous allons rejoindre Harar. Les b;douins n’oseront plus nous attaquer. Ne vous inqui;tez pas et excusez mon seigneur.
T : (se d;grisant). Puisse-tu avoir raison. Non, ne pense pas. J’estime beaucoup ton ma;tre. Mais il s’est oppos; ; tout le monde : aux blancs et aux aborig;nes avec ses moqueries et ses hargnes. Il consid;re tout le monde comme des salauds, mais ce n’est pas comme ;a !
J : Les gens sont tr;s incons;quents et tra;tres, c’est la v;rit;.
T : C’est la v;rit;, mais pas compl;te, Jami. Les gens sont talentueux, et sacrificatoires, et magnifiques. Oui ! Prends par exemple ma fianc;e, Christine... Nous sommes tous faibles. Mais n’est-ce pas que la faiblesse est un signe de vie ? Et ton ma;tre est trop dur et sec ; n’est-ce pas un signe de mort ?
J : Je serai toujours fid;le ; mon seigneur.
T : Mais, enfin, il a du talent ton ma;tre, Jami. Quand je lui ai appris, que son nom est tr;s connu parmis les jeunes et insolents d’Europe, il a rousp;t; violemment, et moi, j’;tais mal ; l’aise. J’ai entendu dire beaucoup de fois, qu’il est un ;crivain de premier rang. M;me Paul Verlaine, un grand po;te, s’est inclin; devant son talent.
J : Qu’est-ce que je peux faire, Monsieur Tchak ? Je ne suis qu’un serviteur. Parfois, pendant les nuits de pleine lune, Monsieur Rimbaud se sent tout ; fait mal. Il s’agite dans son lit, chaque minute pr;tend soit de l’eau, soit la plume. Il ;crit quelque chose, apr;s il d;chire. Son ;me ne conna;t pas de paix.
T : Oui, oui ! Tu l’as bien dit : son ;me ne conna;t pas de paix.
J : Il pense qu’il existe, dans le monde, plusieurs dieux, mais il ne peut pas trouver le Dieu le plus important. C’est difficile pour lui. Il nous faut prier pour lui : moi, de ma propre mani;re, et vous de la votre.
T : D’accord. Il para;t qu’il revient ; lui.
J : Allez. Il vous faut dormir. Un jour difficile nous attend. Je resterai pr;s de lui. Il me semble qu’il va dormir.

Sc;ne 6

Rimbaud est assis sur la natte dans sa maison de Harar. Il range la correspondance que Jami lui a apport;e.

R : Et alors mon cher Jami ! Enfin on a publi; mon rapport dans «  L’Hebdomadaire de la Soci;t; G;ographique » ! Le r;ve d’un idiot s’est accompli ! (il claque la langue et lit). « Nous vous remercions pour l’analyse pr;cise et approfondie et esp;rons en une prochaine collaboration ». Ils esp;rent ! A propos, on peut y voir mes photos ici. Voil; ta propre physionomie (montre). Te reconnais-tu ? Et dire qu’autrefois les cr;tins du lieu se moquaient de moi ! Ils consid;raient que c’;tait de la folie d’acheter un appareil photo pour deux mille francs ! Et maintenant ils font la queue pour que je reproduise leurs mines contrites. Jami, allez, prends-moi en photo avec cet « Hebdomadaire » dans les mains ! Moments de triomphe bon march; !

Jami photographie Rimbaud. Rimbaud est gai et bien ; l’aise. On frappe ; la porte, Tchak entre.

T : C’est moi, Monsieur Rimbaud. Je voudrais vous faire toutes mes excuses pour ces minutes de faiblesse pr;s du b;cher.
R : D’accord ! D’accord ! Et vous, Lauris, ne pr;tez pas d’attention ; mes bizarreries. Dieu merci, on s’est sorti de cette m;saventure ! (En tournant dans ses mains une lettre.) Oh ! Encore un message de la part de ce fr;tillon de Jilling;re ! Eh bien ! Il se pr;pare pour des vacances en Europe ! C’est bien le moment ! Il ;tait ennuy; jusqu’en crever par les lois du lieu. Pour cette raison il voudrait cracher sur tous et s’en aller ; Vienne ! Brave homme ! Ce que le distinguait, c’;tait toujours l’ind;pendance de son avis et de ses d;cisions. Voil; l’exemple pour nous tous, Tchak ! En avant, sans h;sitations ! Et nous parviendrons ; des r;sultats importants !
T : Lesquels ?
R : Et voil; par exemple (il montre l’« Hebdomadaire »). Arthur Rimbaud, explorateur et voyageur tr;s connu, est pr;sent; sur quinze pages. Son rapport est d;j; r;imprim; par la revue royale de Londres. Qui aurait pu s’en douter ! Ils me consid;raient tous comme neurasth;nique et po;te. Et je suis devenu un savant. Si Monsieur Verlaine le savait, il mangerait son chapeau.
J : Voulez-vous du th;, Monsieur Tchak ? Ou un pot de tedj ?
T : Non, non ! Je pr;f;re le th; !
R : Sers-moi aussi ! Et o; est votre fianc;e, Lauris, pourquoi vous la cachez ?
T : Elle est partie avec Monsieur Bardet visiter le march; indig;ne.
R : Quand elle revient, ayez la gentillesse de me la pr;senter. A propos, j’aimerais faire votre double portrait.
T : On dit que vous aviez aussi une fianc;e. Il para;t que c’;tait une abyssine.
R : (confus). Dr;le d’histoire. C’;tait une femme de la tribu des Argobba. A propos, j’ai publi; aussi son portrait dans l’« Hebdomadaire » ( il montre). Vous voyez ?
T : Les traits de son visage sont plut;t r;guliers. C’est ;tonnant.
R : J’en ;tais fascin; depuis le d;but. Et attir;...
T: Oui! Mais d’o; vient ce visage en Afrique?
R : Cette tribu se consid;re comme les descendent des Portugais, qui ont visit;, il y a quatre-cent ans ces rives. Peu probable, sans doute. Quoique… qui sait ? Le monde consiste en ;v;nements et faits les plus incroyables. Il y a quelqu’un qui file sans cesse le filet de nos jours ! Mais, qui est-ce ? Et, pour quelle raison ? Voil; le myst;re auquel on voulait go;ter ! Il existe mille versions des ;v;nements, mais pas une seule qui corresponde ; la v;rit;.
T : Mais il existe les sciences exactes : la physique, la chimie, les math;matiques en fin de compte.
R : ;a existe ! Mais elles emp;trent encore plus ce monde ! Plus il y a de connaissance, plus il y a d’;nigmes autour de nous. Et c’est seulement l’union obtuse des hommes qui ne voit pas la myriade de ces id;es. Et elle nous laisse l’unique : l’argent, l’argent, l’argent. L’or, l’os d’;l;phant, le musque, les ;pices, le caoutchouc !
T : Vous ;tes un pessimiste fantastique !
R : Pas du tout ! Je suis un fataliste. Plus d’une fois je me suis essay; au Coran. Leur axe m’est plus proche. Tout ce qui est inscrit, doit se r;aliser.
T : Il me semble, que vous ;tes un homme indomptable ! O; est votre humilit; ?
R : L; o; se trouve la votre, cher Lauris ! Pour quelle raison vous vous ;tes tra;n; ici, sur un autre continent. Pour la gloire, pour l’argent ? A la recherche d’aventures ?
T : Peut-;tre... On peut dire que je suis trop longtemps rest; ; la m;me place... Les journaux, les discours litt;raires... Tout ;a m’a sembl; irr;el comme si c’;taient des jouets. Et voil; je suis couru ici. Mais ici... la poussi;re, la salet;, la puanteur, les m;urs sauvages, la ruse des aborig;nes et la parcimonie d;tach;e des Europ;ens. Quel ennui ! Quelle solitude ! Et m;me vous, Arthur, vous aussi, vous vous ;tes trop soumis aux passions indig;nes... Quoique... j’en suis sur, vous restez toujours po;te. Et... peut-;tre... (Il regarde Jami)... Continuez ; cr;er.
R : Moi ? Ha ! Je serais un sot absolu, si je continuais avec ce passe temps, le plus ennuyeux... D’ailleurs, on a assez caus; de ;a... Je vous attends avec votre fianc;e... Quoique... je vous donne un conseil... et, malheureusement, banal... ce n’est pas du tout le conseil d’un po;te, comme vous voyez... Ne vous h;tez pas de vous marier... en tout cas, pr;sentez-nous... J’y comprends quelque chose aux femmes... un peu. Pas trop (il sourit)... comme aux prix des os d’;l;phant...
T : Excusez-moi, et votre Abyssine... Racontez, o; est-elle...
R : Qu’est-ce qu’on peut dire... Une fois toute cette mascarade m’a emb;t;. Voil; c’est tout. Et je l’ai renvoy;e chez elle, l’approvisionnant d’une ou deux centaines de thalers.
T : Elle ne vous correspondait pas ?
R : La question n’est pas l;. Les rapports entre hommes et femmes sont encore plus bizarres que les interactions entre la Lune et le Soleil. Et puis... nous nous correspondons pour quelques secondes et apr;s, ; nouveau, nous revenons ; nos propres orbites. Ainsi est cr;; cet Univers. N’est-il pas vrai, Jami ?
J : Il faut soumettre la femme une fois, et la faire pa;tre toute la vie.
R : Bravo ! Jami est quelqu’un d’une int;grit; fantastique. Et vous et moi, nous n’en pouvons pas r;ver, Lauris !
T : Peut-;tre.
R : Ce qui regarde d’autres Univers ; il est possible que tout soit diff;rent. En tout cas, j’y compte beaucoup. Ce serait trop triste si l;-bas nous attendaient les m;mes lois qu’ici.
T : Mais le po;te est vou; ; explorer d’autres mondes ?!
R : Je dirais au sens plus large ; ;a devrait ;tre un homme sans pr;juges. Mais montrez-moi un homme aussi pur ! O; est-il ? Eh ? En bref, une fois, au temps de mon inexplicable jeunesse, j’essayais de saisir les bouts des autres Univers. Encore un peu, il me semblait, encore un effort… et tout sera ;clair; jusqu’au fond, partout dans le monde ! J’ai jet; un coup d’;il dans l’ab;me ! Et j’ai d;test;. ;a d;passe les possibilit;s de l’homme !
T : Alors, ce qui est plus loin, seulement Dieu le conna;t ?
R : Je n’aime pas les discussions th;oriques ! Et si nous allions demander ; Jami. Disons, pourquoi il y a aussi peu de Dieux parmis les gens ? Pour quelle raison il se tait ?
J : Dieu parle. D;s le matin, les arbres chantent, les oiseaux aussi. ;a, c’est sa voix. On entend les bruits de la mer, les rires des enfants, les d;placements des ;toiles et tout ;a, ce sont les paroles de Dieu. Seulement, ;a ne nous suffit pas. Nous sommes sourds.
R : Et, bien, voil;, Lauris ! Ecoutez Jami ! De temps en temps il sort des choses tellement simples et claires ! O; sont ton Socrate et ton Aristote !

De loin on entend une voix f;minine, m;lodique et forte : Lauris ! Lauris ! Lauris sort en courant de la pi;ce et revient en compagnie de Christine qui est une fille simple, tr;s ; l’aise et amicale.

T : Permettez-moi de vous pr;senter ma fianc;e Christine.
C : C’est bien ce m;me Monsieur Rimbaud ?
R : (comme un peu intimid;, un peu essouffl;). Tr;s enchant;. Mais qu’est-ce que ;a signifie « ce m;me » ?!
T : Et voil; son serviteur Jami. C’est un grand original.
C : (tendant la main ; Rimbaud). Enchant;e de faire votre connaissance. Lauris a beaucoup ;crit et racont; sur vous. Quoique je vous imaginais un peu diff;rent.
R : Et comment ?
C : Plus solide, quoi.
R : Un point de vue original.
C : Bien que vous ayez plein de cheveux gris, mais... aussi les traits d’un gar;on rebelle.
R : Merci ! Mais moi, je me sens comme le plus vieux des vieillards !
C : Mais non ! Votre ;nergie, votre vitalit; passent par-dessus bord. Mais il me semble que vous ne savez pas dans quelle direction les pousser.
R : Selon moi, vous vouz trompez... Peut-;tre... (; Tchak) Lauris, votre fianc;e est assez extraordinaire et intelligente. Je vous en f;licite ! Ce type de femme est si rare. Quoique je doute que ;a vous cause de l’embarras !
T : Vous avez raison, Arthur. Je suis fier de Christine et... (sur un ton un peu conspirateur) j’ai un peu peur d’elle.
C : (en riant). Vraiment Lauris ?
T : (affect;). Oui, oui ! Ce qui est – est !
C : Et vous, Arthur ? Je peux vous appeler ainsi ? Vous aussi, vous redoutez les femmes ?
R : ;a ne vaut jamais la peine de redouter, ce dont la construction t’est bien connue : la machine ; vapeur ou les cartes g;od;siques. Et ainsi pour les femmes.
C : ;a sonne audacieux et pr;somptueux.
R : Je ne peux aider en rien. D’ailleurs, vous ;tes en tout cas une agr;able exception.
C : Vous essayez de dorer la pilule ?!
R : Je suis un homme sauvage. Enfonc; dans les passions africaines. Je crois que Lauris vous en a d;j; parl; ?
C : Ben, oui. Il s’en est fait une joie de me le raconter.
R : (se frottant les mains avec satisfaction). Et, voil;, vous voyez !
C : On dit que vous avez ;crit des po;mes remarquables ?
R : Mensonges ! Ecoutez moins, ch;re Christine ! Il y a beaucoup de rumeurs et de potins qui circulent ; mon sujet ! Bien que toute ma vie soit transparente, on raconte que je trafique avec les esclaves.
C : Vraiment ?
R : Les lois indig;nes sont assez s;v;res. Soit tu les surpasse, soit ce sont eux qui te surpassent. Il n’y a pas de troisi;me possibilit; !
C : Et tout de m;me ! En regardant dans vos yeux, je pr;suppose le po;te qui est en vous.
R : (Prend les papiers sur la table, il les agite). Mais non, vous voyez bien que je suis un comptable !
C : Mais aussi un po;te !
R : Je suis fatigu; de disputer avec vous. Voulez-vous du th; ?
C : Vous infusez les feuilles d’hibiscus ? Merci, mais je dis non.
T : A propos… Christine, elle ;crit aussi.
R : Ce ne sont pas des vers, j’esp;re ? Aide-moi, mon Dieu !
C : Je vous pardonne votre attaque, mais vous n’avez pas devin;. Ce sont seulement des articles pour un journal progressif pour les dames. A propos, j’ajouterai volontiers ; mes correspondances d’Afrique un Monsieur tellement amusant comme vous l’;tes.
R : (s’approchant de la fen;tre, comme s’il parlait ; lui-m;me). Je sais que tous les ;tres sur cette terre sont soumis au fatalisme du bonheur. L’action, le mouvement… et si c’est vraiment ;a la vie ? C’est seulement le moyen pour d;penser de l’;nergie. Pour ainsi dire, l’excitation des nerfs. Et le moral ? Le moral est une faiblesse du cerveau. Et lui seul, il ne sait pas ce qu’il fait. Comme un ange.
C : (etonn;e). Excusez-moi, je n’ai pas bien tout entendu ni compris.
R : (comme en revenant ; cette r;alit;, en se retournant). Bien, je suis d’accord. Je serai l’envoy; sp;cial pour votre journal !
T : (s’approchant de Rimbaud). Tout est normal chez vous ?
R : Je ressemble ; un fou ? Pas du tout ! Et si je continuais ; faire cette cuisine, nomm;e art, dans ce cas, sans doute... comme ;a...
J : Vous devez vous reposer, Seigneur. Le sommeil est un grand consolateur. C’est notre meilleur ami et notre conseiller. Vous travaillez trop et ne mangez presque rien.
R : La nourriture… une perte d’;nergie superflue.
C : Vous ;tes un vrai asc;te ou vous aimez jouer ce r;le ?
T : Je pense, ma ch;re, qu’Arthur est trop s;v;re envers lui-m;me. Essaie, disons, de le faire sortir pour une promenade dans les environs ! Je parie que tu n’y arriveras pas !
C : Arthur, je vous demande comme ancien habitant indig;ne de m’accompagner, demain matin. On raconte que, ; c;t; de la ville il a une merveilleuse bananeraie, avec l’herbe ;paisse comme la soie.
R : Je ne sais pas, je ne suis pas s;r que je pourrai ;tre ; niveau. En ce moment les cr;anciers de mon ancien compagnon Labattu m’attaquent. Et juste demain matin je les ai app;l;s ; l’audience.
C : Les cr;anciers ou la femme : voil; le dilemme de la civilisation actuelle.
J : Il vous faut absolument vous d;tendre, seigneur. Vous ;tes trop plong; dans ces comptes et ces chiffres.
R : Ou sinon on part tr;s t;t... Pour arriver ; temps au rendez-vous...
C : Eh bien, c’est d’accord. Je serai chez vous ; sept heures et demi. Au revoir (sort).
R : Et oui, Lauris ! Votre copine est comme une tornade.
T : C’est exact ! Avec elle on ne s’ennuie pas !
R : Et vous n’avez pas peur, que je puisse me laisser entra;ner par votre fianc;e ?!
T : (en riant).Voil; le sujet. Depuis cinq ans qu’on se conna;t, pas un seul homme l’a int;ress;e. A part moi, ;videmment. Parfois je suis stup;fait par sa raisonnabilit; et fid;lit;. Mais avec ;a, non pas mal de gentlemen ont perdu la t;te ; cause d’elle. M;me Monsieur Bardet...
R : Vraiment ? Monsieur Bardet, lui-m;me ?
T : Il est un peu agit;.
R : Etonnant ! Pardonnez ma curiosit;... si ma question ne vous g;ne pas... Qu’est-ce qu’elle a trouv; en vous de particulier, qui lui permet de rester si fid;le ?
T : ;a m’;tonne ; moi aussi... Mais elle dit, qu’elle est extasi;e par les vers que j’;cris. Elle les trouve excellents et les propagande avec tous les moyens possibles. Quoique pour ;tre raisonnable il faut dire que mon talent est assez limit;.
R : Timidit; digne d’;loge. Le talent : qu’est-ce que c’est que ;a et avec quoi on le mange ?... Et votre Christine, a-t-elle du talent ?
T : Sans aucun doute. Elle est parfaite de tous les c;t;s. La seule chose qui me g;ne c’est sa tendance ; tenir le haut du pav; et prendre les d;cisions de son chef.
R : Oui, c’est difficile pour l’homme de comprendre une telle attitude. Mais je suis s;r, que l’esclavage ;ternel des femmes sera t;t ou tard bris; ! L’homme lui donnera la libert; et elle deviendra un po;te. Et ; ce moment les femmes pourront d;couvrir des horizons inconnus ! (en s’enflammant et en tombant dans la transe). Les univers et les sens de ses id;es seront diff;rents de nos sens masculins ! Elle d;couvrira quelque chose d’;trange, infiniment profond, laid, envo;tant! Tout ceci va nous vivifier et ensorceler! Et, enfin on se d;couvrira ! Et on sera comme des enfants !

Rimbaud tombe ;puis; sur le canap;. Jami le couvre.

T : Ton ma;tre, Jami, prononce de temps en temps des choses stup;fiantes. Les explosions de ses id;es et de ses images sont presque g;niales. Mais avec ;a il est vraiment malade.
J : C’est la fi;vre. Si elle a prit quelqu’un, elle ne l’abandonnera jamais. Il devrait travailler moins. Ou plut;t visiter les parents. Sa s;ur Isabelle lui ;crit de longues lettres, l’appelle, il lui manque.
T : Mais si on pouvait l’influencer ? Il n’;coute que lui-m;me ! Oh, quelle nature fi;re et indomptable ! Au revoir Jami.

Sc;ne 7

T;t, le matin. La bananeraie fantasque. Arthur et Christine s’arr;tent sur la clairi;re ; c;t; d’un arbre ; caf;.

C : Vos id;es me semblent des contradictions totales, mais ils ne souffrent nullement de ;a. Lauris vous consid;re une personne tr;s talentueuse et moi, j’ajouterais, dangereusement talentueuse.
R : Pour qui ?
C : Premi;rement pour moi.
R : Vous parlez d’une fa;on protectrice, comme si vous ;tiez ma m;re.
C : Vous l’aimez ?
R : Elle est trop s;v;re, pieuse et juste pour prendre sur elle toutes les complexit;s de la plan;te. Mais avec les ann;es je la comprends mieux.
C : Vous pouvez me croire ou ne pas me croire, mais d;s la premi;re seconde, je vous ai senti comme un homme en dehors des rangs. Et j’ai une ;trange impression, comme si on s’;tait connus, il y a tr;s longtemps.
R : Vraiment ? C’est frappant !
C : Et quoi exactement ?
R : (g;n;). Ce n’est rien ! Ce n’est qu’un fant;me, rien de grave.
C : Arthur, ne vous cachez pas, nous sommes amis vous et moi, n’est-ce pas ?
R : Amis ? Est-ce que ;a existe vraiment dans la nature ?! Et puis... je peux accepter l’amiti; entre deux hommes...
C : Vous raisonnez d’une mani;re conservatrice... Alors, Arthur, ne vous ;cartez pas, r;pondez...
R : (doucement) ;a ressemble ; un r;ve. Mais je suis s;r que je vous ai rencontr;e autrefois. Je comprends que ce n’est pas possible...
C : (en lui faisant un clin d’;il). Tout est possible !
R : (de la m;me mani;re). Mais pas dans ce monde ! Ce monde stup;fiant est trop simple, sec et rationnel. Ne cassons pas l’;quilibre de ces lois !
C : Vous avez toujours ;t; si ob;issant ?
R : Autrefois j’;tais trop fou. J’ai cultiv; consciencieusement les impressions au-del; de la r;alit;. On a assez discut; de ;a.
C : Je suis infiniment curieuse. En plus je suis sure qu’on peut parler de n’importe quoi !
R : Je ne sais pas, est-ce vraiment ainsi ? Je suis de ma propre nature un ;tre insociable. Et ce trait de mon caract;re ne peut qu’augmenter avec les ann;es. C’est difficile de d;passer la barri;re. Et pour quelle raison ?
C : Oh, cet esprit masculin scrutateur ! Pour quelle raison et pour quelle raison ! Pour rien, tout simplement !
R : M;me la vache n’;ternue pas pour rien, comme on dit chez les adeptes de Bouddha.
C : Voil;, j’attends de vous de vraies r;v;lations ! Parlez de tout ce qui vous passe par la t;te.
R : Vous savez, Christine, avec les ann;es les g;nes familiaux prennent le dessus. Je ressemble de plus en plus ; ma m;re : je suis prudent comme elle, sec, et je ne fais aucun compromis. D’ailleurs, j’ai d;j; parl; de ;a.
C : Voulez-vous que je d;crive votre visage ? Comme s’il s’est compl;tement endurci. Il ressemble ; un arbre sec au milieu du d;sert. Mais l;-bas, au fond... Les ouragans dansent encore ! Il para;t, qu’il ne vous faut plus qu’une seconde – et vous serez enti;rement sec ! Il faut vous sauver, Arthur !
R : (tombant par terre en un rire ;clatant). Sauver ! Mais on m’a d;j; sauv; mille fois ! Une fois c’;tait le pauvre Verlaine qui voulait me sauver ! Me r;v;ler la route, comme on dit dans les sph;res spirituelles. Tout en vain ! A force il s’est d;barrass; de moi, ; peine il s’est sauv; lui-m;me, en s’emp;trant dans le p;ch; jusqu’aux bouts des oreilles ! Le sauveur !
C : Il me semble que vous ;tes au seuil de l’illumination. Encore un peu... Vous ;tes trop ferme et ;nerv;, Arthur. Un ami fid;le et s;r vous est n;cessaire !
R : (se relevant ; l’aide du coude). Et, cet ami, sans aucun doute, c’est bien vous ?!
C : (s’asseyant pr;s d’Arthur). Qui sait? (touchant la joue de Rimbaud). Ne pensez pas que tout est tellement banal. J’ai simplement lu vos vers dans un journal parisien. Ils sont magnifiques. C’est comme l’odeur de l’eau fra;che, au moment quand, autour de vous, tout se plonge dans les mar;es. Vous savez, moi... C’est ; cause de vous que je suis arriv;e ici. Non, non, ne m’interrompez pas ! J’ai d’abord lu ces fameux vers, et seulement apr;s j’ai appris des lettres de Lauris que vous ;tiez ici ! On peut dire que je suis venue pour vous emmener !
R : (stup;fait, en se mettant ; couvert comme des rayons du soleil br;lant). Mais non, non et non ! (entrant dans la transe peu ; peu). Bonne chance me dites-vous. Mais je ne vois rien, sauf les feux et la fum;e dans le ciel ! Seulement des milliards d’orages tonnants ! Mais les orgies et les amiti;s f;minines, elles, me sont toujours interdites. M;me pas un seul compagnon de route. Parce qu’ils voudraient me fusiller par leur fureur. J’ai pleur; d’une souffrance inexplicable : ils devraient me fusiller, mais moi, je leur pardonne, comme Jeanne D’Arc. Je n’ai jamais ;t; chr;tien. Je ne comprends pas vos lois et je n’ai aucune morale. Je suis tout simplement un animal tendre, et, ;a signifie, que vous avez toujours tort en m’accusant. Des faux n;gres, des maniaques, des sadiques, des grippe-sous m’entouraient. Mes yeux sont ; jamais ferm;s pour votre monde ! (se calmant peu ; peu). Alors, adieu ! Je ne suis pas fait pour vos discours doux, Christine !

Rimbaud se laisse aller dans ses bras. Christine l’embrasse et le caresse avec tendresse. Courte obscurit; sur sc;ne.

R : (en revenant ; lui). O; suis-je ? Qu’est-ce qui s’est passe ? (regarde le soleil brillant). Quelle heure est-il ?
C : Presque midi. Vous avez dormi, Arthur, sur mes genoux et je me sentais la femme la plus heureuse du monde.
R : (sursautant). On nous cherche s;rement d;j;. Mes cr;anciers... et votre fianc;... je crois qu’il va s’inqui;ter...
C : Et bien, en route ! Mais quand m;me, nous serons oblig;s, t;t ou tard, d’informer Lauris de notre d;cision.
R : Eh, quoi ? ;a c’est vraiment un r;ve ! De quoi parlez-vous ?
C : Je suis venue pour vous sauver. Voil; tout. Votre place est ; Paris o; vous serez le l;gislateur de la mode litt;raire... Je suis s;re qu’un triomphe complet et bien m;rit; vous attend.
R : (syllabant, avec irritation). Excusez-moi, mais tout ;a ne m’int;resse plus depuis longtemps ! Alors que tout votre plan n’est qu’une utopie ! Des dr;les, vains efforts pour sauver celui qui n’a pas besoin d’;tre sauv;, parce qu’il se trouve d;j; tout au fond !
C : (tendrement, mais d’un ton inflexible). Vous ;tes fatigu;, agac;. Ces peines interminables de m;nage vous ont endurci. Mais tout va s’arranger ! Je m’occuperai de vos affaires d’;dition. J’ai d;j; tout d;cid;. Nous aurons un petit appartement dans le quartier Latin.
R : (l’interrompant). Elle a tout d;cid; ! Il ne me faut pas de vos bienfaits ! Personne ne m’a jamais soign;, parce que c’est impossible !
C : Peut-;tre ma rectitude et ma r;solution superflue, vous g;nent, mais vous m’;tes cher, Arthur ! Et moi... je sens, que vous vous tenez pr;s de la derni;re limite. Sur la derni;re ligne de d;fense...
R : (attendri). Je vous remercie pour votre sensibilit;, Christine. Vous ;tes une femme absolument pas ordinaire. Comme si vous ;tiez venue des ces r;ves que me venaient du temps de ma premi;re jeunesse, quand je m’;puisais consciemment pour voir... l’inexplicable. Peut-;tre vous faites partie de cette chose, qu’on ne peut pas atteindre, mais que parfois se r;v;le pendant les nuits d'insomnies.
C : (imp;tueusement elle embrasse Rimbaud). Arthur, tout va r;ussir !
R : Trop tard ! Les lois de cette plan;te sont irr;versibles ! Elles me disent : tout s’est d;j; accompli. Il ne reste plus que jouer jusqu’au bout, v;g;ter mis;rablement. Presque sans jouer. Si vous voulez… le commer;ant a triomph; sur le po;te en moi. Une fois et pour toujours.
C : Croire dans ses possibilit;s est tr;s simple ; il faut partir. Et nous irons ensemble, Arthur. Pensez-y, si je suis parvenue ici et je vous ai trouv;, ;a signifie que par la suite tous les chemins nous seront ouverts. C’est un bon signe.
R : Les signes. Les chemins. Les illuminations. Toute cette compote, toutes ces marques. La fr;n;sie d’Abyssinie durcit mes muscles, fait mon corps inepte, incapable de rien. Je m’;touffe de soif, impuissant de crier (entrant dans la transe). C’est l’enfer ! C’est la souffrance ;ternelle ! Regardez : la flamme monte ! Je br;le bien ! Et tout ce qui est le bonheur de l’au-del;, solide, domestique ; non, je ne peux pas, c’est en dessus de mes forces ! Je suis trop l;ger et faible. Si Dieu pouvait m’apporter la paix de l’air et la pri;re ! Comme aux Saints archa;ques et nouveaux. Forts ! Anachor;tes ! Comme les com;diens de l’antiquit; grecque, qu’on ne trouve plus !
C : (l’embrassant). ;a suffit ! Nous sommes ensemble, c’est-;-dire heureux enfin !
R : (la repoussant avec tendresse). Je ne sais pas... Et maintenant il faut vraiment se d;p;cher ; la maison ! Si Jami et Lauris commen;aient ; nous chercher ! Vous ;tes trop gentille, mais nous... nous ne nous ressemblons pas.

Sc;ne 8

Nuit. La chambre de Rimbaud ; Harar. Sur la table br;le une bougie.
R : Jami ! On ;touffe ! Ouvre la porte !
J : D’accord, Monsieur !
R : Tu l’as ouverte ?
J : Je crains que les moustiques se pr;cipitent ici !
R : Ce ne sont pas tes affaires. Tu l’as ouverte ?
J : Ouverte, je l’ai ouverte. Seulement elles se pr;cipiteront ici.
R : Alors allume l’encens.
J : Bien, Monsieur.
R : Voil; c’est mieux !
J : Vous ne pouvez pas dormir ?
R : C’est vrai. On a v;cu ensemble, toi et moi, Jami, sans regrets. Et voil; qu’une quelconque f;mina appara;t. Comme venue du pass;. Elle induit en tentation. Et ton ;corce de ch;ne tout ; coup commence ; bouger et ; craquer, comme une noix de coco. Tu comprends, Jami ?
J : Je comprends, Monsieur.
R : Tu sais, elle me demande de partir. L;-bas, o; il n’est rest; presque rien, tu comprends ?! Le voil;, le carrefour ! Comme ;a te plaira, que dois-je faire ? Elle parle si correctement et tendrement ! Et bien, quoi ?! Elle me s;duit ! Voil; pourquoi je ne dors pas, Jami.
J : L’homme est cr;; par la s;duction. On dit ;a dans nos mythes.
R : Et combien de fois j’ai ;t; tent; ! Mais non, c’est assez, votre serviteur ! Et puis, le plus important, c’est que Lauris l’aime ! Et bien qu’il soit trop sentimental, c’est un brave homme. Vraiment. Je ne voudrai pas le blesser.
J : Vous ferez mieux de penser ; vous. A quoi bon s’occuper des autres ? On ne peut pas rendre heureux tout le monde. Et oublier soi-m;me est un p;ch;. Elle est gentille. Je l’ai vu tout de suite. Allez donc avec elle, et Jami va prier ici pour vous !
R : D’accord, d’accord ! Allons dormis. Demain matin les cr;anciers vont ; nouveau nous emmerder. On ne peut pas se d;barrasser d’eux, comme des moustiques, en allumant l’encens !
J : Et voil; aussi ! ;a m'attriste beaucoup. Mais, pour quelle raison hier vous avez donn; vingt thalers pour une certaine mule, que Labattu dit avoir pris n’importe quand ? Ce fain;ant, en sortant de chez vous, riait et se frottait les mains. Maintenant ils se jettent sur vous comme une nu;e de sauterelles. Car vous ;largissez vos thalers ; gauche et ; droite.
R : Peu m’importe maintenant des thalers, Jami. Et puis c’est plus facile pour moi de donner de l’argent, que de passer mon temps dans des disputes insens;es.
J : Chassez-les, chassez-les, Seigneur ! Encore mieux, partez ! Franchement, vous-;tes rest; trop longtemps ici. Vous n’aurez pas d’autres chances.
R : Ah, on ;touffe... Et tu me dis : la chance. Tous nos jours ce ne sont qu’une seule et grande malchance. Le malheur est devenu notre divinit;.
J : Les Dieux sont bons et mauvais. Les bons sont plus nombreux. Ils prennent soin de nous.
R : Ah, comme c’est facile pour toi, Jami ! Tout est clair et simple pour toi. Sans agitations et illuminations. Je suis jaloux de toi !

En ce moment on entend le bruit loin de l’orage.

J : (se regarde autour). Pourvu que l’orage n’;clate pas ! D;j; sept mois sans une goutte d’eau ! C’est bien le moment !
R : Ce qui ne nous suffit pas encore, c’est la temp;te. Tu dis que tes dieux sont bons, mais moi je ne peux pas trouver mon Dieu ; moi. Est-ce qu’il existe ?!
J : Je crois que Dieu vous aime. Voil; pourquoi il vous a envoy; cette femme merveilleuse. Prenez-la sans h;siter !

En ce moment les roulements de l’orage augmentent. Les reflets des ;claires remplissent la chambre. On entend le bruit des averses tropicales.

R : (avec intensit;, tombant dans la transe). Pour toi c’est plus facile, Jami, tu crois ! Tandis que moi j’ai h;rit; de mes anc;tres gaulois beaucoup de fantaisies : l’idol;trie et l’amour pour le sacril;ge. D’un mauvais h;ritage j’ai re;u les yeux bleu-clair, une t;te vide et l’absence de savoir se battre. Et tous les vices de famille en plus : la col;re, la volupt; (elle est magnifique, la volupt; !), la paresse et la trahison. Mes habits barbares sans go;t sont comme les leurs ! Le karma de ma famille me dirige ! Comme si je voyais, les anciens gaulois ;corchant les animaux sauvages ; l’aide des aches, br;lant l’herbe, dansant autour du b;cher ! Et ils le font mieux que les autres tribus. Oh, ce sang rouill; gaulois, coulant dans mes veines ! Il ne me conduit nulle part ! Il ne trouve pas d’issue ! Il n’en reste qu’une seule, se laisser tomber dans cet orage, en devenir une partie ! Et se laisser couler sur ce d;sert, en se brisant une fois pour toujours !

Rimbaud ;puis; s’assied par terre. L’orage se d;cha;ne. Jami lui donne de l’eau. Obscurit;.

Sc;ne 9

Le matin d’un nouveau jour. Rimbaud fl;ne mollement dans la chambre, il examine les papiers, les d;chire. Se heurte ; l’appareil photo, s’assied dans le fauteuil et, croisant les bras, prend un autoportrait. Entre Tchak.

T : (inquiet). Je dois partir le plus t;t possible. Soleille m’a envoy; une lettre. Il poss;de un bon lot de caf;. Je pense que si tout se r;alise, nous pourrons enfin nous distraire… Depuis longtemps, Christine et moi, nous avons d;cid; d’aller visiter les pyramides. En plus, comme on dit, Le Caire est une ville plut;t remarquable.
R : Alors pourquoi pas ? En avant ! Mon exp;rience me dit que, parfois, ce n’est qu’un instant qui d;cide du sens du succ;s.
T : Sans doute ! Mais il y a un probl;me. Je ne voudrais pas prendre Christine avec moi. La route est trop difficile. Il faut un jour pour aller l;-bas et un jour pour revenir. Pourriez-vous vous occuper d’elle ?
R : Excusez-moi, Lauris, je suis d;bord; par mes affaires. Peut-;tre que Bardet peut prendre sur lui cette haute mission ?
T : Mais voil; le probl;me : il est parti hier pour Aden.
R : Mais comment ? Il m’avait promis de passer me voir avant de partir. Qu’est-ce que c’est que ces gens-l; ! Plus je vis et plus je m’;tonne ! Gr;ce ; sa lenteur, voil; d;j; trois mois que nous ne pouvons pas envoyer la caravane au Choa...
T : Alors, Arthur ? Je peux compter sur vous ?
R : D’accord, Lauris, partez. Mais ne pensez pas que je vais mener des discours mondains avec Christine du matin au soir. Jami !
J : (il entre). Oui, Seigneur ?
R : Pr;pare deux mules, nous partons pour le d;p;t.
J : Bien. Vous m’avez demand; de vous rappeler les billets ; ordre de Labattu.
R : Oui, c’est ;a ! Que le diable les emporte ! Quoi encore ?
T : En g;n;ral, c’est tout. A propos, j'ai re;u hier une lettre de Jilling;re. Il ne va pas rentrer ; Aden pour le moment.
R : Oiseau libre ! C’est un exemple pour nous tous, Lauris !
T : Le destin est bienveillant sur toutes ses entreprises. Savez-vous, il existe une phrase remarquable : quand la roue tourne du bon c;t;, la chance est avec toi, quand elle tourne du mauvais, il n’y a rien qui va.
R : Comme ;a, comme ;a. Ce sont des roues qui nous font monter jusqu’aux cieux et qui nous jettent dans l’ab;me. Les derni;res sont plus nombreuses.
T : D’accord, ; la prochaine ! On se verra apr;s-demain !
R : Soyez prudent. Les Danakil se font entendre ; nouveau. Voil; ! Tenez mon pistolet. Il ne se trompe jamais.
T : Je vous remercie. Merci, Arthur. Vous ;tes un ami s;r.
R : Salut ! (regardant attentivement le visage de Lauris). Une seconde… Vous avez un air si intense et inspir;... Si vous me permettez, je voudrais l’imprimer... pour l’histoire... pour notre vie africaine indomptable...
T : L’artiste en vous prend le dessus, quoi que vous le r;sistez !...
R : Seulement dans des buts scientifiques. Pour l’Hebdomadaire G;ographique. Je vous pr;senterai comme un pionnier du continent sauvage (il prend la photo). Parfait ! Dommage que Michel-Ange ne soit pas aupr;s de nous ! Je suis s;r qu il vous aurait sculpt; simplement ! Et voil; ! Quand vous serez revenu, votre portrait sera pr;t !
T : (sortant). Occupez-vous bien de Christine.
R : (restant seul). Bien s;r je m’en occuperai. C’est juste le moment de m’occuper d’elle. Je doute que se soit une occupation importante. Qui, sauf moi, s’occupera d’elle ? Bien entendu, ; part elle-m;me ! Elle est incomparable dans ce domaine ! Elle a de l’;nergie, du temp;rament et... de la tendresse. Je dois avouer que sa tendresse m’;meut. Et je suis attir; vers elle d’une mani;re fantastique et fatale ! Mais c’est trop tard ! Qu’on m’enfonce dans une fosse, couvert de chaux blancs, avec des coutures de ciment. Profond, profond sous terre. Mais ici une lampe claire illumine les comptes, les journaux, sur lesquels je pioche comme un pauvre idiot ; illumine les colonnes des chiffres, priv;es de sens. Je pr;f;re le salon souterrain ! Au-dessus de lui la salet; rouge ou noire, les maisons – des forteresses, le brouillard ;pais. Mais dans cette ;paisseur souterraine, peut-;tre on peut rencontrer la Lune et les com;tes, la mer et les sens anciens. Dans l’heure de douleur, je sortirai de mon imagination des sph;res des saphirs et des roses. Je suis le souverain du silence. Et mon temps coule infiniment.

Sc;ne 10

La chambre chez Tchak. On frappe ; la porte. Christine est en d;shabill; ; elle allume une bougie.

C : Qu’est-ce qu il y a ? C’est toi, Lauris ?
R : C’est moi, Arthur ! Ouvrez, je dois vous parler urgemment.
C : (ouvrant). Mon Dieu, enfin ! Vous m’avez fuie toute la semaine !
R : (entrant). Excusez-moi, je vous ai r;veill;e...
C : (se r;jouissant). Ce n’est rien du tout... C’est vous qui devez pardonner mon d;shabill;... Du reste, ;a n’a aucune importance maintenant ! Parce que vous ;tes venu ! Que devais-je penser ? Vous m’avez soigneusement ;vit;e... comme si... disons, que j’ai connu les moments les moins agr;ables... Mais maintenant... Ah, que je suis contente, Arthur, que vous vous ;tes enfin d;cid; ! C’est si masculin ! Au milieu de la nuit, dans l’obscurit; compl;te !
R : C’est ;a, je me suis d;cid;, enfin. Seulement, il ne faut pas me romantiser !
C : Gr;ce ; Dieu ! Comme c’est bon ! (elle embrasse Rimbaud). Je savais, que tu serais venu ! C’;tait l’heure !
R : Je suis venu pour vous dire...
C : Comme c’est beau ! Comme c’est gentil ! Ce pauvre Lauris ! Mais il nous comprendra. Il a un c;ur grand. Et l’;me tendre. Il nous pardonnera, je sais. Je lui ai ;crit une lettre d’adieu d;j; depuis longtemps (s’approche d’une petite bo;te, en sort des feuilles). Voil;. « Cher Lauris ! Mon cher bonhomme ! Je t’aimerai toujours, mais il nous faut nous s;parer ! Ce n’est pas parce que tu n’es pas important pour moi. Au contraire, les ann;es pass;es ; tes c;t;s ont beaucoup de valeur pour moi... »
R : (l’interrompant tendrement). Il ne faut pas...
C : Quoi ?
R : Tout ;a est superflu, ;a ne sert ; rien ! C’est d;j; clair.
C : Ce serait quand m;me plus correct de lui laisser ce billet.
R : Il s’agit de ce que...
C : (l’interrompant, intens;ment). Vous avez, Arthur, vos propres raisons. Les raisons masculines. Et moi, j’ai le point de vue f;minin. Un regard diff;rent. Vous devez vous confier ; moi, je vais tout arranger...
R : Mais Lauris vous aime, n’est-ce pas ?
C : Que faire... Notre rencontre, vous savez, est un don des cieux... Tandis qu’avec Tchak, nous sommes li;s par une amiti; longue et tendre... Et puis... Nous pouvons toujours rester en contact...
R : Je comprends. Je comprends trop. Voil; pourquoi... Enfin, pr;parez-vous ; partir. Combien de temps vous faut-il pour ramasser vos affaires ?
C : (excit;e). Je ne sais pas... Le strict n;cessaire ?... Un quart d’heure devrait suffire... Mais... pourquoi toute cette h;te, Arthur ?!
R : Mon ami Borelli vous attend !
C : Pourquoi ce Borelli ?!
R : Parce que vous partez avec lui pour le littoral, et depuis la pour Aden. C’est un compagnon s;r.
C : Je ne comprends rien ! Expliquez-vous, enfin !
R : (se frottant le front). Ah, oui ! Excusez-moi ! Vous voyez... Cette lente folie ne peut plus continuer. Je me suis foutu de toutes mes affaires, je bois du tedj, je ne dors pas. Et la cause de tout ;a, c’est vous Christine. Vraiment, je me suis plong; dans les r;ves de la jeunesse. Mais la vie suis son cours, selon ses propres lois... Notre union probable sera encore une utopie... Et sa destruction... je ne pourrai pas la survivre. Je n’ai pas autant de force...
C : Mais !
R : Ne m’interrompez pas... Il y a longtemps que j’ai cess; d’;tre un po;te ! Au lieu de ;a je suis devenu un Abyssin de fer ! Et j’ai d;finitivement d;cid; : vous partez tout de suite avec Borelli. C’est tout ce que je peux faire pour vous.
C : Et si je refuse de partir ? Comment pourriez-vous me forcer ?
R : (avec sang froid). Je le ferai. Enfin, vous ;tes oblig;e de r;;crire cette lettre (prend la lettre d’« adieu », la d;chire). Voil; !
C : ;a n’a aucun sens ! Je reviendrai ici ; nouveau !
R : Prenez la plume, ;crivez.... D’ailleurs, je vais tout expliquer ; Lauris moi-m;me. Dans quelque jour il se pr;cipitera vous chercher ; Aden. Et partez, pour tous les saints. Les fanatiques soudanais se sont r;volt;s. Ce sera tr;s dangereux ici dans peu de temps.
C : Mais pourquoi Arthur ?! Je n’ai pas peur des fanatiques !
R : Vous avez raison, de toute fa;on ce ne sont pas eux la cause. Simplement, notre rencontre est une illusion. Vous la vivez encore, et moi non. Lauris est le meilleur parti pour vous. Mariez-vous et ne doutez de rien !
C : Mais ce sera un mariage comme les autres, tandis que nous, nous sommes faits l’un pour l’autre ! C’est la volont; des cieux !
R : Ma solitude augmente ses tours... Partez...  Et... excusez-moi, d’agir de cette fa;on ! Je n’ai pas le choix !
C : Vous ;coutez seulement vous-m;me ! Et moi, j’ai ma propre opinion !
R : Ne m’obligez pas ; vous forcer. Je ne voudrais pas qu’on se s;pare sur ce ton.
C : Arthur, je vous en prie... Par cette action, vous ne condamnez pas seulement vous-m;me, mais... moi aussi. Si vous n’avez pas de piti; pour vous, pensez un peu ; moi.
R : Je n’ai pens; qu’; vous toute la derni;re semaine ! Trop tard, ch;re Christine ! Les aiguilles de mes horloges marchent dans un sens, et celles des v;tres, dans l’autre. Je dirai plus. Jamais je ne l’ai dit ; une femme. Mais... c’est possible... je vous aime... Jamais je n’ai ressenti quelque chose de pareil...
C : C’est de la folie, de la stupidit;, sans aucun sens ! (elle cache le visage entre ses mains). Pourquoi ? Pourquoi ? Je ne comprends pas !
R : Dans quelques ann;es vous allez comprendre que j’avais raison ! Et... peut-;tre, vous allez vous rappeler de moi avec une l;g;re tristesse et avec reconnaissance... pour ce que maintenant vous ha;ssez.
C : Oui ! Oui ! Je vous haie ! Vous avez d;chir; mon r;ve, mon espoir, mon amour !
R : Pardonnez-moi. Ne vous f;chez pas. Jami vous accompagnera jusqu’au bateau. Et Borelli aussi...
C : Allez-vous en avec vos consolations !...
R : Je ne vous oublierai pas, Christine ! Adieu !
C : (elle crie). Arthur ! Je t’aimerai pour toujours !

Obscurit;. Quand on allume on voit une grande toile blanche qui couvre toute la sc;ne. Une dizaine de photos y sont accroch;es. Il y a de vraies photos de Rimbaud, et celles des com;diens qui jouent dans le spectacle.

Voix de Jami (on l’entend du haut). Trois ans apr;s, mon Seigneur est tomb; malade et a ;t; oblig; de revenir en Europe. A Marseille on lui a amput; une jambe. Il a endur; d’incroyables souffrances. Sa s;ur Isabelle s’est occup;e de lui ; l’h;pital. En vain. Peu avant sa mort il s’est confess; et a prit l’eucharistie. Presque en d;lire il a dict; ; sa s;ur une phrase incoh;rente : «Informez-vous ; quelle heure on pourra me monter ; bord du bateau se dirigeant vers l’Afrique ?! » Ceux-l; ;taient ses derniers mots prononc;s en conscience. Arthur Rimbaud est d;c;d; le matin du jour suivant ; l’age de 37 ans. Son corps est enterr; dans le cimeti;re de Charleville dans la crypte de famille, ; c;t; d’un buisson de roses blanches.

Janvier – 22 mars 2004
Abyssinie- Tsarskoe Selo